lundi 17 septembre 2007

Grandir parmi le cartel de Medellin

*Entretien réalisé il y a quelques années pour le compte du magazine La Semaine.

Né en Colombie dans le patelin contrôlé par le célèbre narcotrafiquant Pablo Escobar qui fut un jour l’homme le plus recherché au monde, Hector Betancourt a vu une pléthore de ses camarades tomber sous les balles. Plutôt que de se joindre à la mafia du baron de la coke comme plusieurs l’ont fait, le jeune Hector est devenu membre des forces spéciales qui luttaient contre les groupes criminalisés. Désormais installé chez-nous, il vient de terminer son cours de techniques policières et rêve de porter l’uniforme du SPCUM.

Claude André

Ce village où tu es né en 1976 était sous le joug des narcotrafiquants, n’est-ce pas ?

Au cours de son histoire, la Colombie a connu plusieurs étapes en ce qui concerne la violence. Tout d’abord avec la guérilla qui est en marche depuis plus de cinquante ans. Par la suite, ces groupes se sont emparés de certaines régions et instaurés un climat de violence. Puis, vers 1985 la mafia est intervenue dans le processus de violence. Ils avaient beaucoup d’argent parce qu’ils exportaient de la drogue. La mafia, dans ma région, c’était le cartel de Medellin. Une vague de violence fort importante s’est manifestée au cours des années 90. Entre 80 et 90, le problème était encore caché à la population.

Entre 1985 et 1995, le cartel de Medellin était à son apogée, quels sont tes souvenirs de cette période?

La personne qui contrôlait l’exportation de la drogue c’était Pablo Escobar. Ses activités étaient connues publiquement. Pour le maintien de son système, Escobar recrutait des adolescents à l’époque.

Est-ce que tu as été approché par les hommes d’Escobar?

Oui, bien sûr. J’habitais dans le village où il habitait lui-même. À l’époque, les choses étaient cachées. Il était difficile d’en parler publiquement parce qu’il pouvait y avoir des répercussions très dangereuses…J’ai été approché à maintes reprises ainsi que plusieurs de mes amis qui en sont mort par la suite.

De quelle façon s’y prenait-on pour séduire les adolescents et les convaincre de se joindre à l’affaire? En promettant de l’argent? Des voitures? De la sécurité pour la famille?

Ce n’était pas loin de cela. Mais il y avait plusieurs méthodes. Une d’entre elles consistait
à donner de l’argent aux enfants des familles les plus pauvres. À l’école, dans les années 80-90, on entendait toutes sortes d’histoires effrayantes. Il était très fréquent pour nous d’accompagner des amis qui venaient de mourir au cimetière.

Pourquoi ces jeunes se faisaient-ils tuer? Parce qu’ils refusaient de se joindre à la bande de Pablo Escobar? Parce qu’ils avaient trahi?

Je ne saurais dire. Il y avait beaucoup d’interprétations par rapport à cela. Il y avait des conflits entre les gangs de rue qui travaillaient pour la mafia. Ou encore il pouvait y avoir un lien direct avec le cartel. Sans compter le cycle de violence sociale normale dans toutes les communautés à travers le monde. On retrouvait également beaucoup de drogues parmi nous à l’école. Aujourd’hui, à cause du taux de mortalité important au cours des années Escobar, on compte davantage de femmes que d’hommes au sein de la population.

La cocaïne n’était donc pas destinée aux seuls étrangers?

La Colombie est une société qui ressemble à celle dans laquelle nous sommes en ce moment. Sauf que les médias modifient la perception des gens. Dans ces sociétés, il y a des gens qui travaillent, des consommateurs de drogue….

Qu’est-ce qui t’a incité à ne pas emprunter la même voie criminelle que plusieurs de tes camarades? Ton éducation? Tes valeurs morales?

Honnêtement, depuis que je suis conscient de moi-même, j’ai choisi de marcher droit. J’ai fais le choix de n’avoir rien à me reprocher. Aussi, adolescent j’aimais beaucoup la vie militaire. J’étais étudiant au collège militaire de mon village. J’adorais les uniformes et la discipline. Ce qui m’amené, plus tard, à devenir policier.

À quel moment as-tu quitté le domicile familial?

J’avais environ 15 ans. J’ai habité chez des amis et à la fin de mon secondaire j’ai commencé à travailler.

Quel était ton boulot?

Vendeur de bibles. Je profitais de mon âge et de mon sourire à l’époque (rires).Cela m’a permis d’acheter ma première moto et, grâce à elle, devenir messager. Un jour, alors que je travaillais pour une compagnie d’aviation, une grève du transport en commun a paralysé tout le village. En voyant une ancienne amie d’école qui marchait sur la route, je me suis arrêté pour lui offrir de la raccompagner chez-elle. En arrivant à son domicile, on a jasé quelques minutes devant sa porte lorsque, soudainement, j’ai senti quelque chose de froid dans mon cou. C’était un voleur qui me pointait une arme en exigeant ma moto. Ce moment à changer toute ma vie.

De quelle façon?

Je venais de perdre mon véhicule pour travailler et, du coup, mon engin pour faire des compétitions de motocross, ma passion. La frustration, la tristesse et le découragement ont commencé à s’emparer de moi. Le lendemain, mon patron m'a prêté de l’argent pour acheter une nouvelle bécane. Quelques mois plus tard, je tombe sur une grande affiche : « On recrute pour la police nationale de la Colombie ». Le destin venait de m’interpellé, il me fallait être là.

Que s’est-il passé?

J’ ai été admis à la formation au sein de la police nationale de la Colombie. Le chef de la police de l’époque souhaitait changer l’image de corruption de la police en la rendant professionnelle. Avec l’aide de plusieurs représentants de corps de police d’Europe et d’Amérique du Nord, il a fondé les Forces spéciales. Au début nous étions 480 candidats après un an nous étions 280.

Entraînement difficile, on imagine?

En effet. En plus des difficultés psychologiques cela était très ardu sur le plan physique. Comme nous étions une police paramilitaire, nous devions aller poursuivre notre formation pendant un mois dans les montagnes de la Colombie, territoire de prédilection des révolutionnaires. Cela s’est avéré très éprouvant. Il y avait le froid, la chaleur, l’humidité et les contraintes de nourriture. La dernière semaine, nous avons mangé et festoyé la conclusion de un an d’efforts. Nous étions heureux car il y avait de la viande. Plus tard, nous avons appris que nous avions mangé des chiens! Ceux qui nous avaient accompagné tout au long de l’année.

Qu’est-ce que ça goûte le poulet, le porc, le bœuf?

Lorsque l’on est affamé, on se fout pas mal du goût.

Quand tu es revenu dans ton village en uniforme des forces spéciales, as-tu été perçu comme un traître?

En raison de toutes les morts qui sont survenues, il ne restait plus beaucoup de gens de mon âge que j’avais connu.

Que sont devenus les voleurs de ta moto?

Environ huit mois après mon entrée dans la police, j’ai effectué une opération qui m’a amené à identifier des gens au salon funéraire. Mon voleur dans le cercueil.

Qu’est-ce qui t’a motivé à immigrer au Québec?

Même si j’ai obtenu un bon job de garde du corps pour un personnage important en Colombie, j’ai toujours eu en tête : « pourquoi ne pas aller améliorer ma qualité de vie dans un autre pays tel le Canada. En premier lieu, je souhaitais améliorer la qualité de vie de ma fille et je tenais à ce qu’elle grandisse dans une autre ambiance. Il y a aussi cette volonté de toujours aller plus loin qui m’a toujours accompagné.

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