vendredi 7 décembre 2007

Renaud

Photos: Louis-Étienne Doré

Le sang qui passe

Bientôt Noël, Renaud lance deux cadeaux rouges : un album double et un dvd. Fruits de sa dernière tournée. Car la «vie ça change, les chansons ça reste»

Claude André

Lors de sa dernière série de concerts à Montréal en 2001, alors qu’il refusait des entrevues, votre serviteur avait commis une lettre pastiche adressée à une imaginaire boniche d’Outremont (où il a habité jadis) à la manière de Renaud.

L’avait pas apprécié Mister Renard et s’en était offusqué vertement à l’émission Le Point. J’étais donc nerveux de causer à mon idole d’adolescence et ne voulais surtout pas louper cette quasi unique entrevue que le «chanteur énervant» consentirait cette fois au Québec. Des fois que l’artiste, devant des questions qui heurteraient sa susceptibilité, me raccrocherait au nez…

Oserais-je lui causer de sa désintox à la clinique du Nouveau Départ? Lui demander s’il a rencontré, finalement, le chanteur Nico Lelièvre qui lui ressemble comme une photo de jeunesse… ? Ou m’enquérir quant aux résultats visiblement très modestes de ses cours de chants ?

«Allo, Montréal ! Salut mon chum tabarnak», entends-je depuis Paname. Très sympa. « C’est bien toi Renaud ?». « Oui, c’est moi câlice ». La voix est nasillarde et souriante à la fois. Il tousse comme un train à charbon. N’avait –t-il pas cesser la clope (et l’alcool) sous l’influence du regard bienveillant et scrutateur de son épouse Romane qui a d’ailleurs filmé les images de loges et coulisses de Québec que l’on retrouve dans le bonus du dvd?

Se battre

«Ben oui, je n’arrête pas d’arrêter. J’arrête tout le temps la clope…. 40 fois par jour, j’arrête. Mais un jour je vais la prendre par surprise. Au moment où elle ne s’y attendra pas. Pas le premier janvier comme convenu, comme tout le monde, et là ça sera ma dernière», lance Renaud qui, malgré un rhume et une bronchite, semble afficher une «patate d’enfer». Comme il l’annonce d’ailleurs sur «Tournée rouge sang Paris Bercy + Hexagone» avant de présenter 500 connards sur la ligne de départ qui villipende la course Paris-Dakar. «Je la chante depuis 15 ans. C’est vrai que j’ai un petit peu l’impression de me battre contre des moulins à vent mais je suis un peu teigneux comme garçon. Je suis un peu comme un genre de pitt bull (…)», clame –t-il.

Vrai qu’avec la publication de l’album Rouge sang, dont les couleurs rouge et noir de la renvoyaient directement aux idéaux anarchisant de sa jeunesse, Renaud semble avoir effectivement retrouvé son flingue. Il y reprend même, ô bonheur, la très engagée Hexagone façon protest song à la Dylan. «Hexagone c’est quand même un peu mon brûlot, mon pamphlet…La chanson que les fans ont réclamé pendant trente ans. Celle dont je disais vous aller me voir la chanter tout le temps et que les plus jeunes ne m’ont jamais vu chanter. Donc là, les plus jeunes vont pouvoir me découvrir sur scène et les plus anciens me retrouver», lance Renaud qui semble s’être réconcilié avec la presse lors de son dernier séjour en Nouvelle-France. Lui qui était en brouille avec les médias québécois. «Pas tous les médias. C’était surtout Montréal, le Journal de Montréal. En 32 ans de carrière, faire un mauvais concert, ça arrive à tout le monde», conclut celui qui ne se fera pas prier pour causer de la libération d’Ingrid Bétancourt.

Militant, comme avant qu’il n’annonce prématurément son désengagement politique lors de sa dépressive période «Boucan d’enfer» dont il nous est loisible de lire quelques avatars dans Tangage et Roulis où David McNeil relate son séjour (romancée) à la clinique Nouveau Départ en compagnie d’un certain Reinhart. «C’est un centre pour les alcooliques anonymes sur le rue Papineau. Ça a été écrit pas un ami. Il y parle de moi abondamment hein. Ça ma replonger dans des souvenirs un peu noirs…»

Si Renaud a retrouvé son flingue, hélas pas sa voix, ceux qui ont assisté à une certaine décrépitude de l’idole devenue grasse et nihiliste voire caricaturale seront néanmoins heureux de replonger dans les souvenirs heureux de leur jeunesse à travers ce Renaud rouge comme la passion. Rouge comme le sang de Rimbaud coulant sur un cahier. Ce Renaud d’enfer.






D’anar à bobo, les nous de Renaud

«Tous des tocards, tous faux-culs», Hexagone.

Période pré-mitterandienne (1975 à 1981). Renaud est proche des idées libertaires. L’utilisation du «je» inclusif permet à Renaud de créer un sentiment d’appartenance sur le plan politique en ridiculisant l’Autre : les gens associés au nationalisme qui, en France, est l’apanage, sauf exception, de la droite et de son extrême. Hexagone (1975) est fort éloquente à cet égard. Pendant cette période, le nous de Renaud s’adresse surtout à l’extrême-gauche comme en témoigne aussi le brûlot Où c’est que j’ai mis mon flingue (1977).

«Tonton laisse pas béton», slogan pro-Mitterand
De 1981 à 1995 la France est gouvernée par un président réputé de gauche, François Mitterand. Renaud s’adresse directement à ce dernier sur l’album «Morgane de toi» publié en 1983 avec la relecture du classique Le Déserteur de Boris Vian. Nous sommes loin du «roi des cons sur son trône» qu’il utilisait pour parler de la présidence pendant la période précédente. Renaud, bien que toujours anarcho-mitterandiste (sic), affiche sa sympathie pour les Verts et pour le p.s notamment avec la chanson Socialiste. Pendant cette période, il développe l’utilisation du récit avec personnage pour distiller ses positions marquées à gauche et pro-palestiniennes. Ex. Deuxième génération.

« À part peut-être José Bové, qui pourrais-je jamais aimé ? », Je vis caché.
Période post-mitterandienne de 1996 à aujourd’hui. Suite au départ de sa Dominique, Renaud sombre dans une dépression éthylique qui coïncide avec un certain désabusement sur le plan politique. «Mais bouger mon cul, m’engager, c’est pas d’main qu’vous m’y reprendrez », Je vis caché. En 2006, un récent amour avec Romane est prélude à l’album Rouge sang et permet à Renaud de «retrouver son flingue». Le nous de l’artiste est incarnée par une nouvelle classe sociale ; les bobos (bourgeois bohèmes). Fini les héros salvateurs à la Mitterand mais Renaud retrouve le goût de l’engagement politique et une certaine sérénité.



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