vendredi 21 octobre 2011

Commentaire d'Alexandre Jardin sur la famille reconstituée

ACTU-MATCH | VENDREDI 1 JANVIER 2010

2000-2010 LA FAMILLE PREND LE LARGE. PAR ALEXANDRE JARDIN

 2000-2010 La famille prend le large. Par Alexandre Jardin
Quatre Willis et une ex-madame Willis se cachent sur la photo. Saurez-vous les reconnaître ? | Photo Reuters

Paru dans Match
Faire passer la famille recomposée pour quelque chose de formidable, c’est nier le mal qu’on fait aux enfants.
Alexandre Jardin - Paris Match

La vraie folie commence quand on essaie de faire passer pour normal ce qui ne l’est pas ; et pour désirable ce qui fait souffrir. C’est ce qui s’est passé, en France, avec la famille en franchissant le cap de l’an 2000. La famille dite recomposée s’est alors imposée, en quelques années, comme une quasi-norme. Quelque chose de quasi formidable ! Pas une famille puzzle de grands sportifs tricolores, de politiques béats et de stars épanouies qui ne se soit fait photographier sur son canapé pour Paris Match en claironnant son bonheur recomposé ; et en laissant entendre que la tribu non traditionnelle, ça fonctionne. Tout en bêlant que cette nouvelle manière de vivre est, bien entendu, synonyme d’harmonie et de joie pour tous. Comme s’il fallait à tout prix déculpabiliser les parents du XXIe siècle naissant. Comme si le désir de vivre comme on l’entend devait à toute force être légitimé par les couvertures positives de nos magazines.
Nous avons pété les plombs. Non pas de vivre comme nous le souhaitons ; mais de ne plus être capables – nous, les adultes – d’assumer notre égoïsme et nos valeurs individualistes face à nos enfants. Parce que la vérité est là, sévère : la famille recomposée reste une sacrée difficulté pour nos petits ; même si ça se passe bien (pour qui, au fait ?). Ne nous leurrons pas : ce qui s’est écrit depuis dix ans dans la presse sur ce phénomène «moderne et plein d’espoir» a été écrit par des adultes pour des adultes. En évitant de trop donner la parole aux professeurs de désillusions. Côté enfants, priés de sourire sur les photos glacées, la fête fut moins évidente. Surtout lorsque cette recomposition réussie éclate à son tour et que les gamins ballottés une seconde fois se retrouvent abandonnés, si souvent hélas, par d’ex-beaux-parents qui s’évanouissent brusquement de leur quotidien ; alors que les enfants avaient déjà eu tant de peine à ouvrir leur cœur. Regardez autour de vous comme cet abandon-là se généralise en toute bonne conscience (ce n’est pas mon fils après tout) !

DÉCULPABILITÉ COUPABLE

Ces lâcheurs, bizarrement, se souviennent fort opportunément que les lois vieillottes de la solidarité familiale ne leur créent aucune obligation. Ouf ! Alors même que chacun sent bien que ça reste moche de trahir la confiance accordée par un minot. Mais notre machine médiatique à dé-cul-pa-bi-li-ser les adultes – les journaux sont exactement ce que nous attendons d’eux – reste là pour nous seriner que nous avons bien le droit de vivre comme ça nous chante ; nous qui sommes enfin li-bé-rés des croyances casse-pieds de nos aïeux. Toute notre société n’est-elle pas désormais orchestrée pour nous conforter dans l’idée palpitante qu’il serait forcément bon de changer, qu’il faudrait sans cesse passer à autre chose et, surtout, ne pas s’enliser dans un couple monotone ? Pour faire tourner la société de consommation à fond de train (et vendre la génération suivante de téléphones), il a bien fallu torpiller la culture ­traditionnelle – économe, hypocrite et pas très fun – pour entrer gaiement dans le je-jouis-donc-je-suis d’une éternelle adolescence festive.

En refilant l’addition... aux petits. A nos petits dont nous exigeons (sans rougir) un dernier effort : par pitié, déculpabilisez-nous en répétant tous en cœur que la famille recomposée, c’est le pied ! Et surtout, ayez la bonté de ne pas trop nous faire part de vos désarrois, de vos sentiments d’insécurité... Protégez-nous ! Voilà ce que, en franchissant l’an 2000, nous – les grandes personnes – avons implicitement réclamé de nos enfants. Et je ne fus pas le dernier à le faire. Avec une malhonnêteté dont je connais bien l’odeur. Pourquoi, à l’aube de ce siècle, nous est-il devenu soudain si difficile d’assumer nos choix personnels devant nos gamins, avec une honnête culpabilité ? En revendiquant sans fard nos priorités hédonistes et notre égoïsme réel ? Au risque d’être jugés et pris pour ce que nous sommes en réalité : des gens imparfaits, souvent âpres et plutôt nuls dans nos relations. Pourquoi avons-nous, collectivement, tenté de faire passer la famille recomposée pour quelque chose de formidable ? Et de bienfaisant...

Cette manœuvre de faussaire me paraît indigne car il y a quelque chose de plus incorrect que de brusquer un enfant, c’est de nier le mal qu’on lui fait. Pour préserver une fallacieuse bonne conscience... qui, de surcroît, compromet l’éventuel succès d’un bonheur recomposé ; car on ne peut pas être heureux une nouvelle fois si l’on muselle, par commodité, la part de souffrance de nos petits chats. La prochaine fois que vous verrez dans Paris Match une photo de famille puzzle exhibant des stars radieuses sur leur canapé, pensez à mon article. Leurs enfants auraient-ils dit la même chose ? Point final

1 commentaire:

annecampagna a dit…

ah,ah, un excellent texte, enfin un journaliste qui ose mettre les barres sur les t et les points sur les i's. y'en a marre de la propagande capitaliste.