samedi 20 avril 2013

Lucien Francoeur en studio

Lucien Francoeur, qui lancera un livre d'entretiens et de photos le 7 mai, entrera aussi en studio dans un mois pour y enregistrer de nouvelles pièces. La formation Aut'Chose, dont les membres ont composé les musiques, sera la même qu'au fameux retour de Francoeur en 2005 sauf, bien sûr, le regretté Piggy qui a laissé quelques bandes sonores qui seront utilisées. Comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, on prévoit également la publication d'un coffret de 13 albums pour l'automne.

Histoire de patienter un peu, voici une entrevue que j'ai réalisé avec le «rockeur sanctifié» en 2005 mais qui n'a rien perdue de son actualité, excepté le fait que le Lulu a pris sa retraite de l'enseignement depuis.

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OPINION
LUCIEN FRANCŒUR, LE RETOUR DU...BONHOMME SEPT HEURES

En 1975, la formation Aut’Chose devait lancer toute une «garnotte» dans la vitrine du consensus «beau dommages- que» avec une approche résolument rebelle, rock, voire punk! Puis, son égérie Lucien Francœur, émule de Rimbaud et Morrison, est devenu la bibitte médiatique que l’on connaît notamment grâce à la radio et Burger King! En 2005, l’homme n’a rien perdu de sa verve et de son franc-parler.

PAR CLAUDE ANDRÉ 

Toi qui as été plaqué par l’une de tes blondes au profit d’un rival et ami du milieu contre culturel jadis (Denis Vanier), dis-nous : Est-il préférable de se faire abandonner pour quelqu’un que l’on admire ou pour un obscur besogneux?
À l’époque, quand je me suis fait faire des passes, j’aurais préféré qu’elle me quitte pour un obscur besogneux. Moi, je baisais avec n’importe qui, mais j’aurais préféré qu’elle le fasse avec un nobody. Cela m’a considérablement dérangé quand ça été pour des gens que j’admirais ou que je fréquentais dans le milieu contre-culturel québécois. Mais, j’étais jeune. Disons qu’aujourd’hui, si ma blonde avait à me tromper, je préférerais qu’elle choisisse quelqu’un d’édifiant.

(Question originale!) Tu as bossé pour la station de radio CKOI en compagnie de plusieurs humoristes. Que penses-tu de l’humour au Québec?
Francoeur et un sinistre individu
D’une part, j’ai des amis qui sont de très bons humoristes que j’aime beaucoup : Michel Barrette, Patrick Huard et François Léveillée! Mais je pense qu’il y a saturation de l’humour au Québec. On assiste à une omniprésence des humoristes sur toutes les scènes à propos de n’importe quoi et, parfois, c’est au détriment des humoristes eux-mêmes qui se prê- tent à toutes ces interventions. Bref, je trouve que la radio a été desservie par les humoristes après quelques années d’un cer- tain format. Je pense au Zoo, le matin, qui passait à CKMF et qui était très avant-gardiste à l’époque. Or, maintenant, pour faire de la radio, et c’est dommage, tu as simplement besoin d’envoyer un tape dans lequel tu joues un tour à ton voisin et on t’embaucher

Et les personnages...?
On dirait qu’il s’agit toujours de débiles ou de dyslexiques. C’est très en deçà de Sol qui défaisait les mots, déconstruisait le langage et le reconstruisait, créait des néologismes. On dirait qu’on a pris de Sol la partie essentielle- ment dénaturation, déconstruction linguis- tique et puis on s’est aligné sur des personnages qui sont soit des aliénés mentaux, soit des dyslexiques, des débiles, des «restés-là» ou des demeurés. On se retrouve donc dans nos classes avec des étudiants qui ont appris à parler, à penser, avec le personnage d’un humoriste qui était un «moron»...

Enfant de Marx et de Coca-Cola, tu as rêvé de changer le monde. Désillusionné?
Oui. La fameuse phrase de Godard qui a été reprise par toute la contre-culture américaine ! Je continue à croire, comme Jean-Jacques Rousseau, que l’homme naît bon. C’est la société qui le corrompt. Mais en tant que bouddhiste, je crois également qu’à la source, à la naissance, il y a une espèce de karma, de contamination de l’être dont on hérite. Nous devons donc travailler à nous améliorer. Je ne désespère pas de l’être humain, peut-être un peu de l’humanité comme collectif...

Issu de la contre-culture, tu es devenu animateur de radio populaire (CKOI) et porte-parole de Burger King. Comment as-tu été perçu par tes chums de l’underground ?
La réponse de Gerry (Boulet) quand j’ai annoncé pour Burger King a été : «Take the money and run». On vient de la rue. Donc, on a été élevé dans les hamburgers. Pour une fois, plutôt que de les acheter, ils nous payaient pour les annoncer! Avec une légère ironie dans le processus qui a causé un petit scandale à l’époque. Paradoxalement, j’ai été aux prises avec ce débat-là alors que j’aurais dû faire de la radio à Radio-Canada et écrire dans Le Devoir. Étonnamment, je suis tou- jours à l’extrême de ceux qui me sollicitent. C’est le côté commercial qui vient me chercher. Voilà un paradoxe intéressant parce qu’il me permet d’œuvrer ailleurs que dans les sentiers battus et d’amener Rimbaud chez Burger King ou à CKOI FM. Je sais que je n’ai rien à attendre de l’intelligentsia. C’est peut- être ça être un poète maudit : ne pas avoir la reconnaissance de ses pairs. Il y a des pério- des où cela a été assez douloureux. 

Peut-être que certains cravatés, qui souvent le font en catimini, ne voulaient pas être associés de près ou de loin à un consommateur de drogues avoué... 
Je suis un héritier de la contre-culture. Mes modèles sont des poètes maudits, des excessifs, des démesurés. La plupart des écrivains que j’ai fréquentés ou qui m’ont influencé sont passés par les drogues ou par la folie. Oui, j’ai affiché mes couleurs et, étonnamment, ça ne me nuit pas. Les straights et les bruiftcases me sollicitent quand même. Peut-être à cause de l’honnêteté, de la franchise.

La légalisation de la mari ?
Je suis écœuré de voir l’acharnement qu’on met contre une substance qui est tout simple- ment une herbe : le pot, le ganja. On devrait pouvoir s’en procurer auprès des épiceries biologiques comme on va chercher du millepertuis ou quoi que ce soit. Il pourrait y avoir identification du taux de THC comme o n le fait pour identifier les aliments transgéniques. 

Tu es professeur au cégep. Que penses- tu de ces jeunes femmes vêtues d’un string qui déborde et de jeans au ras le bonbon ?
Je ne peux plus marcher dans les allées dans mes classes au cégep. Lorsque je marche entre les pupitres et que je reviens de l’arrière vers l’avant, je ramasse toute la panoplie des strings et je peux donner la marque de tous les sous-vêtements qu’elles portent. C’est extrêmement déprimant, quand tu n’es pas un obsédé sexuel, de marcher ainsi et de voir toutes les craques de fesses. Il y en a qui sont élégantes et d’autres qui le sont moins. Puis, lorsque tu te retournes de côté, en avant, et bien c’est des bustiers, des soutiens-gorge plutôt que des vêtements. On dirait qu’il manque des morceaux. Par ailleurs, les gars sont surhabillés. Ils portent des culottes abri Tempo, des gros manteaux et des casques sur la tête. Ainsi, les gars sont complètement dis- simulés dans leurs vêtements tandis que les filles sont expulsées de leurs vêtements. Je trouve qu’après tout le féminisme, la conscien- tisation des femmes comme femmes objet, les commerçants ont réussi à ramener l’image de la femme objet, de la Barbie.

Les femmes qui dirigent des magazines féminins n’y contribuent-elles pas elles- mêmes ?
On n’a pas besoin d’aller acheter un Playboy ou un Penthouse, il suffit de se procurer un Clin d’œil ou un Châtelaine. On déshabille les femmes sous prétexte de vendre des sous-vêtements. On reprochait à Jagger de chanter Stupid Girl. Maintenant, avec les rappeurs, c’est Ma blonde fait des pipes à mes chums! Je me demande où cela va mener la fille comme individu social... ■ 






samedi 13 avril 2013

Tryo : quand l'humanisme rencontre l'optimisme


collaboration spécialeComme les mousquetaires, ils sont quatre à former Tryo : Cyril Célestin (alias Guizmo), Daniel Bravo, Christophe Mali et Manu Eveno.
J'ai eu le plaisir de rencontré Manu et Guizmo de la formation Tryo, de passage à Montréal pour nous présenter son dernier album, Ladilafé il y a quelques semaines. 

Voici quelques questions en relation avec les chansons humanistes et souvent engagées du célèbre… quatuor qui poursuit sa lutte progressiste, en troquant cependant son aspect un tantinet frontal contre une certaine ironie.

Votre dernier chapitre se nomme Ladilafé; qui est-ce?
Manu Eveno : Patricia Bonnetaud. C’est elle qui nous a découverts, il y a 15 ans. Elle était directrice du label Yelen; elle nous a signés, énormément protégés et nous a permis de rester nous-mêmes. On avait très peur des médias au début, et elle nous a permis de continuer à exister par la scène en communiquant directement avec le public par l’intermédiaire des réseaux associatifs. Un jour, elle a quitté son label chez Sony pour créer sa propre étiquette : Ladilafé. Ce qui veut dire la rumeur, les commérages, dans la langue réunionnaise. Ce qu’elle a transformé en : «Je l’ai dit, je le fais.» C’était un engagement auprès de ses artistes. Puis elle a lutté contre un cancer et elle nous a quittés. (Sanglots) Elle est partie malheureusement avant que l’album sorte, mais elle l’avait écouté et validé.

Une pièce de l’album s’intitule Printemps arabe. N’a-t-il pas finalement été une aubaine pour les islamistes?
Guizmo : Entre le moment où la chanson a été écrite et celui où on l’a enregistrée, les choses ont évolué à une vitesse incroyable. C’est une chanson qui parle des dictateurs qui tombent et de nous aussi, jolis Français, qui allons en vacances en Tunisie depuis des années avec nos œillères. Il y a cet aspect et aussi l’idée que, même si les choses ne vont pas bien et que ça va être long, la démocratie ne se fait pas en deux jours. On sent une menace fanatique dans la plupart des pays qui ont vécu le printemps arabe. Il y a aussi une volonté de démocratie pour plein de gens là-bas, dont ceux qui étaient à la Place Tarir, au Caire. Ces personnes sont pour les droits des femmes, pour la laïcité. Ce courant-là existe, même s’il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, on peut effectivement craindre le pire parce que l’islamisme arrive en force.

Vous chantez Greenwashing. Pensez-vous que la conscience écolo est devenue une nouvelle morale sacrée?
Manu : Non. C’est un peu ironique. On pourrait dire que l’écologie est devenue un sac publicitaire. C’est terrible, parce que plein de gens ont envie de consommer de manière plus responsable, mais pas nécessairement d’écouter tout ce qui se trame. On est tous un peu victimes du greenwashing. Un mot qui est un dérivé de brainwashing, c’est-à-dire lavage de cerveau. Ce qu’on traduit chez nous par écoblanchiment : on lave sa conscience avec du vert. C’est une chanson qui décrypte ce problème et qui dénonce aussi les stratégies du marketing.
Guizmo: Mais cette chanson n’est pas un constat d’échec.

***
Un journal chanté
Le dernier album de Tryo, Ladilafé, aborde des thèmes qui font l’actualité, dont une (très belle) chanson sur l’euthanasie et une autre qui dénonce Marine Le Pen. C’est comme un journal chanté, finalement, fait-on remarquer à Manu et à Guizmo.
«J’ai vécu la perte de quelqu’un qui était malade et qui souffrait, et c’était un moment rempli d’émotions fortes, dit ce dernier. Alors oui, on a la chance d’avoir un micro et trois voix pour dire des choses qui nous touchent. Dans le cas de l’euthanasie, c’est de manière assez accessible grâce au reggae.»
Une volonté d’atténuer des propos sombres sur des notes joyeuses façon Trenet et sa chanson du pendu?
«Ça dépend du contexte, répond Manu. Si on parle d’une chanson dont le texte est plutôt dramatique ou très sérieux, si on trouve que le texte est trop frontal, trop pathos, on va contraster avec de l’humour ou de l’ironie. Mais quand on évoque, par exemple, la vie de Bryan Williamson et l’homophobie dans le reggae, là on n’a pas envie de rigoler, on y va sans ménagement et on dénonce les artistes en question qui sont homophobes et lancent des appels au meurtre dans leurs chansons.»

Cette entrevue a d'abord été publié dans le Journal Métro le 7 avril 2013.

samedi 6 avril 2013

J'veux des bd tab**** !



Une plance de «Charlebois et l'osstidgang» 
Qu’ont en commun Charlebois, Deschamps, Forestier, Mouffe, Kissinger, Allende et Pinochet?  Ils sont désormais des personnages de deux œuvres «bédéesques» québécoises distinctes signées Vaillancourt-Rouyère.

En moins d’une semaine ont paru Kissinger et nous (22 mars) et Charlebois & l’osstidgang (28 mars). Deux bédés scénarisées par Ami Vaillancourt et dessinées par Bruno Rouyère. La première, l’équivalent de quatre albums, raconte les péripéties de quatre amies activistes pendant le putsch militaire au Chili (1973), tandis que la seconde invente un été mouvementé à la campagne pour le jeune Charlebois et sa bande composée de Mouffe, de Louise Forestier et d’Yvon Deschamps.

«Si je suis né, c’est grâce à Kissinger et à Carter», lance, ironique, Ami Vaillancourt en expliquant que la trame de Kissinger et nous lui a été inspirée par sa mère, une ancienne militante contrainte de fuir le Chili de Pinochet avant de se retrouver au Québec, où elle a rencontré celui qui allait devenir le papa d’Ami. C’est pour rendre hommage à ces femmes qui ont décidé de suivre un entraînement de guérilleros dans la jungle bolivienne, afin de faire éventuellement partie de la garde rapprochée du président Allende, que l’Ami Vaillancourt a entrepris ce récit romancé. «La plupart des amies de ma mère, qui avait 26 ans à l’époque, sont décédées ou ont disparu. Plusieurs ont été violées, torturées… C’est une histoire que je portais en moi depuis l’enfance», explique, ému, l’auteur de 37 ans encore fan de Peyo.



Manque de bol, il avait beau éplucher les portfolios, il n’arrivait pas à trouver un dessinateur dont le style l’aurait subjugué. C’est en marchant un jour sur le boulevard Saint-Laurent que son regard croise, dans la vitrine de la Galerie du Viaduc, une magnifique reproduction d’une case tirée d’une expo consacrée au neuvième art. Vaillancourt téléphone à son éditeur et lui fait part de sa trouvaille. Quelques jours plus tard, le scénario de 200 pages se retrouve entre les mains du dessinateur en question, Bruno Rouyère, qui le dévore et accepte de prendre part au projet. «Si j’avais su la somme de travail que ça représentait, je ne l’aurais jamais fait», sourit Rouyère en ajoutant : «Si tu traverses l’Atlantique à la nage, tu ne reviens pas une fois rendu au milieu de l’océan.»

C’est qu’il aura fallu quatre ans de labeur pour mener ce projet à terme. C’est d’ailleurs pour cela que les deux comparses ont fait une pause et, histoire de se changer les idées et peut-être de toucher une avance, se sont attaqués à Charlebois & l’osstidgang. Une autre œuvre, en couleur celle-là, qui, à l’opposé de l’autre, est totalement fabulée. Cet album sera suivi de huit autres, un pour chaque domaine artistique.

Pourquoi Charlebois, Ami? «À l’image de Maurice Richard, il s’agit d’un personnage plus grand que nature qui incarne autre chose que ce qu’il est réellement. C’était ce personnage et son apport qui m’intéressaient. Pas l’individu. Il a produit du matériel, et nous, on l’a élevé au rang d’icône. Charlebois a plogué sa guitare et a dit : “J’veux du son, tabarnak!” Ça a soufflé tout le monde, cette énergie-là. L’Osstidcho, finalement, c’est aussi important que l’émeute du Forum dans l’histoire du Québec.»
bédé Charlebois Bruno
(«Robert Charlebois est un personnage plus grand que nature qui incarne autre chose que ce qu’il est réellement.» – Ami Vaillancourt, à gauche sur la photo (aux côtés de Bruno Rouyère) / Collaboration spéciale)

Par la photo
Lorsqu’il a refait le parcours chilien intégral des protagonistes de Kissinger et nous, Ami Vaillancourt a pris 2 000 photos, qu’il a remises au dessinateur Rouyère. Pour Charlebois & l’osstidgang, Louise Forestier a beaucoup aidé l’auteur, notamment sur la question du langage. Charlebois, pour sa part, n’a pas participé au projet. Le lecteur averti prendra par ailleurs un malin plaisir à repérer les nombreuses références à l’œuvre de Garou 1er ou à celle d’Yvon 
Deschamps.



Kissinger et nous Charlebois & l’osstidgang
Glénat Éditions
Présentement en magasin

*Ce texte a d'abord paru dans l'édition du 5 avril 2013 du Journal Métro