Paul Rose devant le palais de justice de Montréal en janvier 1971. |
Le FLQ : repoussoir pour la souveraineté ?
Par Claude André
Dans la foulée du décès de Paul Rose, le toujours
coloré chroniqueur Normand Lester a écrit dans sa chronique sur Yahoo : « En
provoquant la Crise d’octobre, Rose et son quarteron de complices ont servi les
intérêts des gouvernements libéraux au pouvoir. Pierre Trudeau et Robert
Bourassa ont su exploiter habilement les crimes de ces hurluberlus. En enlevant
le ministre Laporte et le diplomate britannique Cross, ils donnent le prétexte
au gouvernement fédéral de proclamer la loi martiale. Ottawa et Québec ont tout
de suite compris comment ils pouvaient utiliser le FLQ pour faire peur au monde
et ainsi endiguer et même faire reculer le développement de l’idée
indépendantiste dans la population. »
Rectifions
d’emblée : ce n’est pas la loi martiale qui fut proclamée, mais bien
l’existence d’un état d’insurrection appréhendé. Proclamation qui a avait pour
effet d’octroyer des pouvoirs d’exception à la police et non d’autoriser
l’intervention de l’armée canadienne. Chose qui aurait pu se faire sans avoir
recours à la fameuse Loi
sur les mesures de guerre.
Et à l’intention de la frange droitiste qui accuse les
médias d’encenser un meurtrier, précisons de nouveau que même s’il porte
l’odieux de l’enlèvement de Pierre Laporte, Paul Rose n’était pas présent au
5630 de la rue Armstrong à Saint-Hubert au moment où le ministre libéral a été
tué, comme l’ont démontré les audiences de la Commission Duchaîne en 19801.
Il ne faudrait tout de même pas vider les mots de leurs sens.
Cela étant dit, pour quiconque s’intéresse à
l’histoire politique du Québec plutôt qu’aux opinions déguisées en analyses,
une question demeure pertinente : le
FLQ a-t-il, a posteriori, favorisé le rayonnement du mouvement indépendantiste
ou, au contraire, lui a-t-il été néfaste?
D’aucuns vont jusqu’à affirmer que « sans la
Crise d’octobre, le Québec serait déjà un pays depuis longtemps » !
Hélas, je ne possède pas la boule de cristal
rétroactive que semble consulter Mathieu Bock-Côté avant de se rendre dans le
studio de Radio X, mais s’il est vrai que la majorité des Québécois,
fédéralistes comme indépendantistes, désapprouvèrent l’enlèvement et le meurtre
de l’ex-ministre libéral Pierre Laporte, il paraît hasardeux de tenter de faire
porter le chapeau d’« idiot utile » à Paul Rose, comme certains
tentent de le faire ces jours-ci.
Contexte sociopolitique
À la fin des années soixante, les Québécois étaient
victimes d’une domination séculaire. Non seulement ils ne pouvaient pas se
faire servir en français dans les commerces, mais il leur fallait en plus se
soumettre à la langue du dominateur anglophone pour espérer gagner un salaire
très souvent dérisoire.
Pour mémoire, rappelons-nous que le 19 novembre 1962,
alors qu’il se faisait demander par le comité parlementaire pourquoi on ne
retrouvait pas de francophones aux 17 postes de vice-président chez le Canadian National Railway (CN), Donald
Gordon, le président de cette société d’État, déclara sèchement que les
promotions s’effectuaient « au mérite ».
Un énoncé qui, non sans rappeler le célèbre rapport
Durham, fit beaucoup de bruit à l’époque en cristallisant, en deux mots, une
grande partie du mépris et de la condescendance, sans parler de l’exploitation,
que subissaient alors les francophones face aux maîtres des lieux.
À la suite de cette assertion, une manifestation
devant le Queen Elizabeth, où se trouva le siège social du CN, devait tourner à
la violence. Ceci est un exemple parmi d’autres du climat qui régnait au Québec
lorsque le FLQ commença à faire parler de lui dans les années soixante. Climat
qui a permis au groupuscule terroriste de profiter d’un capital de sympathie
auprès d’une certaine partie de la population québécoise. Or, le vent tourna
rapidement après la mort de Laporte. Mais il demeure très difficile, selon, notamment, les historiens signataires du référentiel ouvrage Histoire du Québec contemporain2,
d’évaluer l’impact de l’action terroriste qui s’est manifestée au Québec de
1963 à 1970.
Ce que l’on sait toutefois, c’est que si le Parti québécois
a perdu un siège en
1973 (celui de Camille Laurin dans Bourget) son résultat est néanmoins passé de
23,06 % à l'élection de 1970 à 30,2 % à celle de 1973. Et
cela en dépit du fait que l'indépendance était promise sans même passer par un
référendum! Comme traumatisme, on a vu pire. D’autant que le Parti québécois a
accédé au pouvoir en 1976
(41,4 %), en plus de tenir un premier référendum sur la souveraineté
en 1980.
Donc, en l’absence d’études empiriques sur la question
précise de l’influence favorable ou néfaste du FLQ, il n’apparaît pas farfelu
de supposer que l’onde de choc provoquée par Rose et sa bande a contribué à une
certaine prise de conscience politique chez de nombreux Québécois. Qu’une des
cibles ait été un père de famille arraché à ses enfants rend le crime
crapuleux, cela relève de l’évidence. Personne ne mérite la mise à mort. Même
s’il a des accointances mafieuses comme c’était le cas de Laporte.
Mais du point de vue de la stricte et froide analyse
empruntée à la realpolitik, on peut
supposer que non seulement sans le FLQ le Québec ne sera pas davantage un pays
souverain aujourd’hui, mais que les actes, aussi abjectes fussent-ils, commis
par Paul Rose et les autres ont plutôt procuré une légitimité inespérée au
parti fondé par René Lévesque. Lui qui, de son côté, prônait la voie
démocratique pour accéder à l’indépendance.
Pour ma modeste part, même si je suis de ceux qui
croient que la démocratie ne remplit pas toujours ses promesses et qu’elle est
souvent instrumentalisée (on n’a qu’à penser à la récente loi 178), ce n’est
pas parce qu’il refusait de jouer le jeu de la « lenteur
démocratique », pour reprendre le chroniqueur Bock-Côté, que je n’aurais
jamais cautionné le FLQ. Car dire cela équivaudrait à délégitimer toute forme
de contestation autre qu’électorale.
Non, si je refuserai toujours de cautionner la
violence, c’est parce que comme l’a si bien dit l’immense Camus en expliquant
son refus d’endosser les bombes du FLN3 qui explosaient
aléatoirement dans les trains algériens, c’est parce que, comme lui, « je
préférerai toujours ma mère à l’injustice ».
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