mardi 24 avril 2007

Un paria qui dérange

Photo: Louis-Étienne Doré



Voici une entrevue réalisée il y a quelques années avec l'enfant terrible du cinéma québécois Marc-André Forcier. Toujours d'actualité?



Marc-André Forcier, réalisateur de nombreux long-métrages, dont le plus récent est Coteau Rouge avec Roy Dupuis, a été le maître d’œuvre de quelques-uns uns des films les plus essentiels de notre cinématographie (L’eau chaude, l’eau frette, Au Clair de la lune, Le vent du Wyoming, Une histoire inventée….).

Mais son franc parlé et sa dissidence lui ont également valu sa part d’inimitiés.

Les pendules sont remis à l’heure avec le bum qui a jadis déviergé note cinéma. Rencontre.

Claude André

Que penses-tu du star système au Québec?
C’est le star système télévisuel qui, de plus en plus, détermine le casting des films. Je trouve ça le fun qu’une petite société ait son propre star système et tout le câlisse de kit. Mais que ce soit lié à la télé et que ce soit elle qui call les shots, je trouve ça un peu poche.

Tu aimes le cinéma québécois actuel?
J’ai entendu dire qu’ils veulent faire un film sur Lucien Rivard. Je ne doute pas que cela sera très bon avec Rémy Girard et écrit par Fabienne Larouche. Mais où ça mène osti tout ça? Tous ces films folkloriques comme Séraphin, Le survivant ou Aurore? Est-ce qu’on peut garder une place relativement importante pour l’imagination? J’ai l’impression qu’il y a un moule, des patterns, à Téléfilm Canada qui financent ces films là. L’art ne peut évoluer si on ne fait que de la peinture à numéro. Les auteurs d’œuvres originales ont également leur importance à mon avis.

Ne ressentons-nous pas le besoin de scruter ainsi notre passé afin de nous forger une identité encore incertaine?
Je pense que l’identité, elle est aussi par en avant. C’est comme si nous étions autosexuels. Si le Québec était un homme, il essaierait de se sucer tabarnak! Moi, je veux seulement que le cinéma d’auteur soit protégé. Si le cinéma commercial l’est autant qu’on le dit, qu’on ne mette pas tout cet argent pour le publiciser. S’il y avait une enquête genre la Commission Gomery dans l’industrie du cinéma et des organisations gouvernementales qui le finance (avec l’argent des contribuables), il en sortirait des vertes et des pas mûres. Hélas, tout le monde a peur de parler.

L’idée est lancée, espérons qu’elle sera captée histoire de poursuivre le nettoyage…J’ai rencontré une auteure récemment chez un ami. Elle m’a raconté que ses livres ont été pilonnés. Avec un de ses collègues de l’Uneq (Union nationale des écrivains ndlr.), ils ont réussi à repérer une cinquantaine d’écrivains à qui cela était arrivé. Tout ce beau monde était prêt à dénoncer la chose or quand est venu le moment de signer une lettre de protestation personne n’a voulu le faire parce qu’ils avaient tous peur de l’éventuelle réaction des éditeurs. Est-ce que l’on peut se poser des questions sur la liberté d’expression? Sur le courage de ces gens là? Moi, quand j’ai appris ça j’ai été carrément flabbergasté.

En France il existe encore une liberté d’expression non sanctionnée mais quand tu vas y présenter tes films, n’éprouves-tu pas le sentiment de celui que l'on tente de folkloriser?
Oui et ils ne s’en aperçoivent même pas. L’impérialisme est une maladie, une maladie onctueuse.

Revenons à nos brebis. Tu sembles être perçu comme un marginal par certains personnages influents de l’industrie du cinéma genre producteurs ou distributeurs.
Ces gens là sont financés par notre argent via Téléfilm Canada. Ce sont souvent de grossiers personnages. Ils mangent ensemble et les vrais marginaux ce sont les cinq ou six débiles qui call les shots et décident de ce qui va passer. C’est la même chose à la radio. On assiste à un nivellement partout. Il y a un excellent chanteur par exemple, Daniel Gagné, qui vient d’Abitibi. Il ne tourne même pas là-bas parce que les postes d’Abitibi sont programmés par Montréal criss.

Luc Picard, Patrick Huard et Dan Bigras, un acteur, un humoriste et un chanteur, ont obtenu du financement de Téléfilm Canada pour réaliser leurs premiers véritables films.Est-ce frustrant pour un gars qui a ramé comme toi?
Moi, je ne crois pas qu’un premier film ne puisse pas avoir accès à la réalisation. Dans mon temps, il n’y avait pas d’école de cinéma et on apprenait sur le tas. Ma critique des institutions se situe ailleurs. Mais il est certain que le phénomène des acteurs qui font des films est troublant. Davantage par le nombre des acteurs qui s’y mettent que par le geste de le faire. Cela est avalisé par Téléfilm et ce patern fait en sorte que des gars qui en sont à leur premier long métrage obtiennent 7 ou 8 millions tandis que moi je suis contraint de tourner à 4. 7 millions un film qui aurait dû en coûter 15. Ce n’est pas tout, pour la première fois de ma vie on m’a enlevé le droit de coupe finale de mon film la veille du dépôt à Téléfilm Canada. Quand tu fais cela à un père de trois enfants, il n’a pas tellement le choix de se plier. Alors les relations entre les producteurs et les réalisateurs ne sont plus aussi civilisées qu’avant.

Ton côté disons anarchiste a sous doute contribué à te faire blacklister par les bonzes de l’industrie…
Je suis blacklisté parce que je dis la vérité. Il y a une très petite minorité de producteurs qui sont accrédités et qui possèdent des « enveloppes à la performance ». Alors, ce sont ces gens là qu’il faut courtiser dans les cocktails. Or, moi, ce n’est pas mon genre. En plus, ce ne sont même pas des vrais producteurs. On fait des films qui vont cartonner au Québec avec des subventions aux distributeurs qui égalent à peine le produit qu’ils font et ne sont pas exportables à l’étranger comme Séraphin, Le Survenant, Les Boys etc. alors que mes films le sont. Les distributeurs d’ici veulent écrémer le marché québécois. Mais il faudrait savoir que les résultats mirobolants au box office de ces films sont attribuables aux massives campagnes de pub. C’est facile d’assassiner un film comme on l’a fait pour le mien en le diffusant dans un nombre restreint de salles à des heures incongrues.

Est-ce qu’on paye le prix, au Québec, de s’exprimer librement?
J’en ai toujours payé le prix. Mais j’espère qu’il y en a un jour qui payera le prix de leur lâcheté. Et je pense à plusieurs artistes qui refusent d’aller au bat actuellement. Je ne me suis, pour ma part, malheureusement jamais assagi.

Des noms?
Charles Binamé par exemple. Voilà un réalisateur habile qui fait à grand frais le travail qu’on lui demande pour le parti libéral. Moi je refuse d’être un tâcheron.

Quel est ta position au sujet de la question nationale?
Je ne suis pas un nationaliste. Je suis un séparatiste doctrinaire. Pour moi, on fait le Québec où on ne le fait pas. L’école anglaise, c’est de la foutaise tabarnak. Je sais que cela peut sembler ringard mais cette culture là qui passe par la langue c’est notre poumon et je l`aime. Nous sommes le seul peuple de l’humanité qui s’est dit non deux fois et qui appelle une défaite une conquête. Cela dit, à la limite je préfère un Canada socialiste à un Québec indépendant de droite.

Un congrès tenu à Montréal portait sur la prostitution, qu’en penses-tu?
C’est un choix personnel dans la mesure où l’on ne t’oblige pas à le faire. Je suis porté à croire qu’il faudrait la légaliser avec certaines balises.

Près de la soixantaine, il te vient à l’esprit parfois de joindre les rangs, d’abdiquer?
Jamais. J’aime trop le cinéma et je pense que les organismes représentants les divers niveaux de ma professions essaient toujours de ménager la chèvre et le choux. Hier, j’entendais Mme Filiatreault, pour laquelle j’ai le plus grand respect, dire à la télé : « On ne peut pas parler contre les institutions et s’attendre à recevoir de l’argent des gens qui sont là pour la donner ». Ce n’est pas leur argent, tabarnak. L’éthique ne veut plus rien dire. Quand on serre la main d’un producteur et qu’on se retrouve à perdre la cut final de son propre film la veille de sa présentation pour l’évaluation du budget…Alors, moi là, lorsqu’on parle de solidarité québécoise je dis : « mangez de la marde »!

1 commentaire:

Dianerythme a dit…

Allo Klod, ca fait longtemps.. Merci pour cette belle entrevue, tres intéressant. A tres bientot..xox