samedi 22 octobre 2011

Pops star de la rue


La 22ième nuit des sans abris qui s'est déroulé hier à Montréal m'a rappelé cette rencontre effectuée vers 2005 avec le Père Pops. 



Pour de nombreuse personnes, les heureux événements qui jalonnent l'existence ne sont que des coïncidences. 

Mais pour des centaines de jeunes abandonnés et désespérés qui ont eu affaire à La Roulotte, au Bunker ou qui ont fréquenté l’école alternative Dans la rue, il s’agit plutôt d’une évidence :  Dieu se manifeste à travers les êtres humains. 

Le Père Emmett Johns alias Pops, une légende urbaine, n’est pas étranger à l’affaire.

«Pops», ça vient d'où ?
Il y a une quinzaine d’années, lorsque j’ai commencé avec les jeunes de la rue, j’ai pensé à un surnom parce que mon nom peut être difficile pour des francophones. Pops est apparu, c’était idéal parce que c’est familier et en anglais ça désigne quelque chose genre un p’tit vieux dans un dépanneur.


Vous êtes membre de quelle congrégation religieuse?
Père diocésain. Mon patron est à Rome. Sous lui, le pape, il y a un cardinal, le monseigneur Harty (un pour les francophones et un autre pour les anglophones) et moi.

Vous venez de faire allusion au pape. Vous qui œuvrer auprès de marginaux, êtes-vous satisfait de l’élection de ce nouveau pape réputé très conservateur?
On ne sait jamais. C’est le mystère de la papauté. Prenez Jean XXIII, il a ouvert les fenêtres pour laisser entrer l’air frais en ce qui concerne les réformes. Ça peut arriver encore. Et les personnalités changent.


Revenons à vous. Vous êtes né à quel endroit?
Sur le Plateau Mont-Royal à Montréal. Mon père était ouvrier. Il travaillait sur les quais du Saint-Laurent. Contrairement à ses amis qui buvaient et dépensaient leurs sous, il a pu économiser pour acheter une maison. On a même eu une voiture. Mon père était croyant et ma mère, pour sa part, allait à l’église à tous les matins. Je l’ai accompagné avec ma sœur, qui est devenu plus tard patineuse pour les Ices Capades, tout le long de mon primaire. Nous menions une vie tranquille.


Enfant, vous vous destiniez à une carrière religieuse?
Je suis né 1928. J’avais 11 ans quand la guerre a éclaté. J’ai eu des professeurs d’écoles qui sont morts à la guerre. La guerre s’est terminée avant que j’atteigne l’âge requis pour s’enrôler dans l’armée britannique.


Avez-vous craint d’être appelé au front?
Non. Les jeunes vont à la guerre parce qu’ils sont assez caves (rires) pour ne pas avoir peur. Ça représente en quelque sorte la grande aventure. Moi j’étais officier dans les cadets, je voulais aller à la guerre mais comme j’avais 17 ans en 45 et que j’étais trop jeune et trop petit je n’y suis pas allé.


Votre humanisme ne s’était pas encore manifesté à ce moment-là?
Je me suis rappelé, de nombreuses années plus tard que lorsque nous étions enfants et que ma mère allait sur le boulevard Saint-Laurent acheter du beurre, elle en prenait 5 livres alors que nous n’étions que quatre. En fait, elle en donnait aux voisins dans le besoin en échange de petits services. Aussi, à tous les jours pour aller à l’école, je passais devant un immeuble intriguant qui abritait la cour juvénile, cela nous fascinait. Quand je n’étais pas sage, mon père me montrait la direction de l’immeuble avec son pouce, je comprenais…


Mais qu’elle était votre vocation à ce moment?
Militaire ou génie en chimie. J’ai travaillé un été chez un chimiste et l’odeur m’a découragé de poursuivre dans cette voie. Ensuite, j’ai consulté mon père et il m’a dit : « tu vas aller à l’université où je briserai tous les os de ton corps. Cela ne laissait pas beaucoup de place à la discussion (rires). À la maison nous recevions deux revues religieuses. C’est en les consultant que j’ai décidé d’aller en Chine pour me faire missionnaire.


Et alors, la Chine?
Je suis allé à Scarborough, Ontario pour offrir mes services et ils ont décidé en 49 que je n’avais pas la vocation de missionnaire. J’ai de nouveau posé ma candidature à 5 reprises. Puis, je me suis rendu à une congrégation de New York en auto-stop, même refus. Je suis donc revenu à Montréal encore un peu plus déçu. Puisque j’avais déjà fait 4 ans d’un programme de 7 années d’études en théologie à l’Université de Montréal, j’ai décidé de poursuivre et quand je suis sorti j’ai été ordonné prêtre.


Cela ne vous posait pas de problème de renoncer à l’amour entre un homme et une femme?
Adolescent, j’avais déjà décidé de ne pas avoir de famille. Je souhaitais quelque chose d’un peu plus tranquille (rires). Je ne voyais pas que de la gaieté dans les familles de mon entourage.


Les jeunes filles ne vous tourmentaient donc pas?
J’habitais un quartier francophone alors que j’étais un anglo qui fréquentait une école de l’Ouest de la ville. Je voyais donc mes amis là-bas et le soir, à la maison, je faisais mes études. Mon père était très rigoureux à ce sujet. J’avais cependant une amie féminine…


Vous avez donc œuvré en qualité de prêtre à Montréal après vos études?
Oui, au milieu des années soixante j’ai fondé la première maison de transition pour les jeunes qui sortaient de centre d’accueil au Canada. Je pense qu’il y a un lien avec l’immeuble mystérieux que je voyais petit. Comme ils fuguaient toujours dès qu’ils sortaient j’ai eu l’idée d’ouvrir cette maison de chambres ? Puisqu’ ils ne fuguaient plus, il y avait comme un message. Plus tard, j’ai été aumônier à l’hôpital psychiatrique Douglas.


Vous avez constamment été entouré de marginaux, de laissés pour compte de la société, un choix?
Ça c’est intéressant. En 1966, j’étais vicaire dans une paroisse où le curé était un peu disons débalancé. J’ai donc fait une demande pour être transféré et m’a offert ce poste!
J’ai cumulé trois ou quatre postes pendant plusieurs années.


Êtes vous un marginal au sein de l’église catholique?
J’essaie d’être très ordinaire. Je fréquente les réunions de mes confrères, ils me connaissent et ne sont pas toujours content des perspectives que j’apporte. Au sujet de l’argent accumulé par l’église par exemple. Il arrive un moment où il faut reconsidérer ces choses. Au moyen âge, le pape subventionnait l’art et les universités par exemple.


On dit que vous avez développé une passion plutôt inhabituelle chez les religieux.
Après avoir obtenu ma licence de pilote, je me suis acheté à crédit un Senna 182 4 places et je suis devenu membre de l’association des pilotes prêtres d’Amérique. Je partais de Dorval et avec des amis nous sommes allés au Mexique, à Trinité-Et-Tobago, au Bahamas, en Barbade…Souvent nous dormions dans les presbytères locaux. Comme nous ne portions pas toujours nos habits de fonction on s’inscrivait souvent sous le vocable travailleur autonome dans les pays où nous séjournions.


Avez-vous un jour regretté d’avoir fait vœu de chasteté?
Non, j’ai frôlé si on peut dire mais je suis demeuré fidèle à mes convictions. Même si nous sommes au régime, on peut toujours regardé le menu!


Comment en êtes vous venus à fonder ce pourquoi on vous connaît soit Chez Pops, Le Bunker et La roulotte qui distribue des hot-dog et accueil inconditionnel aux jeunes?
C’était en 1988. J’étais malade et suicidaire. Je venais de faire une grave dépression. Heureusement je connaissais la maladie. J’ai été traité. Et je ne voulais pas retourner comme Curé dans ma paroisse où les contacts humains proches étaient plutôt rares. Bref, je souhaitais m’impliquer auprès des jeunes. C’est en entendant une entrevue à la radio d’un type qui distribuait de la bouffe et des vêtements aux jeunes de la rue à Toronto que j’ai décidé de l’imiter à Montréal. Ce que j’ai fait avec un prêt personnel. On m’a dit que cela ne marcherait jamais, qu’il n’y avait pas de sans-abri à Montréal…

Sur une note plus personnelle, je ne serai jamais assez reconnaissant à l'endroit de Pops qui, hormis son humanitude à envers des jeunes paumés, m'a dit un jour vers 2005 : «Ta fille cherchera plus tard un garçon qui la traitera comme son père l'a fait avec elle». Cela m'a donné la dose de courage qu'il me manquait à l'époque pour lutter afin d'obtenir une éventuelle garde partagée. «Car si tu ne le fait pas, tu donneras raison à sa mère...» Hommage.

Pour contribuer aux œuvres de Pops :
Dans la rue
893, rue de la Gauchetière Ouest,
niveau 90, bureau 220
H3B-5K3
514-526-5222

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