samedi 2 juin 2012

Le triomphe de l'image


Une affiche de la télésérie culte Mad Men


Incroyable mais… faux!

Livre événement dès sa publication au États-Unis en 1962, Le triomphe de l’image de Daniel Boorstin est devenu un classique qui a retenti autant chez les intellectuels qu’auprès du grand public. Pour la première fois en français, on y découvre l’histoire de l’image, de la pub, des pseudo-événements et quelques secrets de la télésérie Mad Men. Entretien avec Mark Fortier, son éditeur et traducteur qui est également chargé de cours en sociologie.

Claude André

Le livre de Boorstin aurait-il influencé les créateurs de Mad Men?
On voit Le triomphe de l’image sur la table de chevet de Don Draper, ainsi qu’un autre livre de Boorstin. Il est manifeste que les réflexions de Boorstin sur la culture américaine, la publicité et la consommation correspondent au propos de Mad Men. De plus, les sujets abordés par Boorstin et ceux de la télésérie sont souvent similaires : le débat Nixon/Kennedy, la publicité pour Lucky Strike, le roman Exodus de Leon Uris et le tourisme en Israël. Ce qui me frappe le plus, c’est le lien entre le générique du début de la série – où l’on voit des personnes chuter dans le vide – et la crainte de Boorstin que le monde l’image nous fasse perdre tout sens de la réalité, de ce que nous sommes, comme individu et comme société.


Le culte de l’image a-t-il été instauré par le premier débat télévisé opposant Kennedy à Nixon, en 1960?
Ce débat fut le premier du genre. Aux yeux de Boorstin, c’était un simulacre, une pseudo discussion qui ne permettait aucun échange d’idées réel. Soumis aux contraintes de la télévision et à la perception des auditeurs, les candidats sont condamnés à se lancer des répliques de 2 minutes. Pour éviter le ridicule, ils doivent s’interdire de penser. Nous sommes aujourd’hui habitués à ce cirque. Fait comique : les chaînes de télévision de l’époque ont repris la formule et la mise en scène des quiz télévisés pour organiser ces débats. Un quiz, ironise Boorstin, dont le premier prix est un boulot de 4 ans à 100 000 $ par année!
Daniel J. Boorstin

Dans le livre de Boorstin, on apprend notamment qu’un branding peut être victime de son succès.
Fidèle à son habitude, Boorstin a un sens aigu des détails, souvent savoureux. Il remarque en outre que l’objectif d’une image de marque est d’être simple, un peu équivoque, pour frapper les esprits et se différencier. Mais une marque peut être victime de sa popularité. Si elle devient le nom d’un produit en général, comme Kleenex pour les mouchoirs, alors elle perd sa spécificité, ce qui peut nuire à ses ventes. C’est souvent arrivé.

Chose étonnante, on découvre que non seulement les gens se laissent berner par la pub, mais aussi qu’ils prennent plaisir à découvrir les méthodes utilisées, lorsqu’ils apprennent qu’ils l’ont été trompés.
Boorstin attribue cette découverte à P.T. Barnum, l’homme de cirque du 20e siècle. Ce dernier n’avait pas son pareil pour inventer des attrape-nigauds (le général Tom Pouce, la nourrice de George Washington, la sirène à tête de singe, etc.). Mais ce qui fit sa renommée, c’est surtout le tapage que provoquait la dénonciation de ses astuces. Il se dénonçait d’ailleurs souvent lui-même! Les gens étaient autant fascinés par ses spectacles que par la révélation de l’inventivité qu’il déployait pour les distraire. C’est la loi des pseudo-événements. La propagande est un mensonge qui vise à tromper les gens. Si on démasque le mensonge, il cesse d’être efficace. Il en va autrement du pseudo-événement. Celui-ci est un fait, plus ou moins artificiel, qui se nourrit de notre désir d’être diverti et qui s’alimente de notre désir d’être informé. Paris Hilton en est un bon exemple. Tout comme le « scandale » que suscite les mannequins retouchés à l’ordinateur, qui devient lui-même un sujet de discussion ou de reportage. On se passionne autant pour les duperies qu’à découvrir comment elles ont été conçues.

Le triomphe de l’image : une histoire des pseudo-événements en Amérique de Daniel J. Boorstin (LUX Éditeur) est actuellement en librairie.

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