dimanche 6 mai 2007

«Toi, tu survivras!»


Le 31 août 2004, le quotidien La Presse publiait cette rencontre de votre humble serviteur en compagnie d'une rescapée de la Shoah. En regard d'un certain discours tenu par l'éminent nouveau président de la république française sur la délinquance et la pédophilie qui seraient génétiques, l'analogie ne me semble pas tordue.

Rescapée de la Shoah, Ann Kazimirski avait juré à sa mère qu'elle témoignerait un jour de l'horreur. Investie de cette mission, cette conférencière fort appréciée change la vie des centaines d'élèves du secondaire qu'elle rencontre annuellement entre les concerts de la chorale qu'elle dirige.

«Elle apporte sa magie, son courage et donne de l'espoir à nos jeunes décrocheurs qui sont souvent aux prises avec divers problèmes, explique Judy Leonard de l'école alternative de Saint-Lambert. Je crois qu'à travers son témoignage et ses rencontres intimes qui suivent les conférences, plusieurs d'entre eux ont trouvé la force de changer de vie.»

C'est que l'octogénaire pétillante qui se dresse droit devant le journaliste a transformé une tragédie historique en leçon de courage. Et cela, on en conviendra, est plus éloquent que n'importe quelle leçon de morale.

Comment y parvenir? «Il faut se bâtir, dans notre tête, dans notre coeur, un système d'autodéfense afin de combattre le chagrin et la douleur. Malheureusement, nous n'y arrivons pas tous. Il y a des gens qui font des dépressions ou des tentatives de suicides. Moi, je me suis dit: ma vie recommence. Depuis, chaque nouvelle journée est un cadeau de Dieu», explique Ann Kazimirski, qui maîtrise sept langues.

Survivante de la vérité

Imaginez le film Le Pianiste, de Polanski et vous obtiendrez, en substance, le parcours qu'a connu l'auteure de Witness to Horror, éditions Devonshire Press. Son père, son frère de 18 ans, son grand-père et sa mère ont été tour à tour exécutés par les Allemands.

Elle a 17 ans quand la guerre commence. De 1939 à 1941, les troupes hitlériennes s'activent en Pologne. Avec sa mère et son mari, Henry, dentiste, ils décident de se réfugier chez une amie, se souvient-elle avec émotion.

Puis, le 13 juin 1943.... Solution finale. Les cris de la mort et l'odeur des cadavres se répandent comme une traînée de poudre. Les trains vers les camps deviennent de plus en plus réguliers.

Entre l'abdication et la foi, Mme Kazimirski a choisi la seconde. «Je n'ai jamais pensé un seul instant que j'allais mourir. Pendant la guerre, je n'ai jamais perdu l'espoir. Pourquoi? Parce que ma mère m'a toujours dit: ils vont tous nous tuer, mais toi, Anna, tu survivras. Tu dois raconter au monde entier ce qu'ils nous ont fait, voilà ton destin! En regard du pessimisme de mon mari, qui conservait sur lui une capsule de cyanure, elle disait: laisse-le parler, tu vivras, je te le promets», raconte-t-elle.

Fuir le ghetto


De fil en aiguille, de refuge en refuge, le couple parvient à survivre tant bien que mal en dépit du froid hivernal, de l'absence de nourriture, des poux et de la maladie. Un jour, tous deux réussissent à s'enfuir en empruntant les égouts.

En sortant, discrètement, ils aperçoivent au loin des Allemands. Un ange passe, ils se mettent à chanter des cantiques de Noël et trompent ainsi la vigilance des soldats au poste frontière.

Finalement, les Russes viennent délivrer la Pologne. Puisqu'il ne reste pratiquement plus de survivants juifs, le couple passe pour des espions aux yeux des Russes. Cependant, grâce à un dirigeant de cette armée qui parlait le yiddish, ils ont pu rétablir les faits. «Apportez de la soupe, vite, ils sont juifs!»

Puis, ils embarquent sur un paquebot, direction Halifax, Canada. «J'ai embrassé la terre en arrivant là-bas.»

Ils se retrouvent plus tard à Montréal, mais l'époux, dentiste, ne peut exercer sa profession en raison de l'absence de reconnaissance de ses compétences de la part des autorités locales.

Notre vaillante rescapée de l'horreur lave donc des planchers pour des émoluments dérisoires.

Jusqu'à ce qu'un jour, grâce à la bienveillante intervention d'un médecin au patronyme de Groulx, qui avait transmis des lettres de recommandations à l'hôpital Sainte-Justine et au Jewish General, le mari obtient un poste.«Depuis ce temps, j'embrasse quotidiennement ces lettres... Il avait mis une chemise blanche et une cravate pour la première journée de travail et il a pleuré, se souvient la dame. Dans la vie il ne faut jamais désespérer mais s'accrocher à ses rêves.»

«C'est ce que j'enseigne aux enfants que je rencontre. Ensuite, je les exhorte: Quand vous partirez d'ici, allez voir votre maman. Dites-lui que vous l'aimez et remerciez-la de vous avoir donné le plus beau des cadeaux: la vie!», murmure celle qui est retournée à l'université, à 53 ans, afin d'obtenir un diplôme d'enseignement de l'anglais.

Aujourd'hui à la retraite, Mme Kazimirski dirige néanmoins une quarantaine de concerts par année du Cummings Jewish Centre Chore. «La musique est un médicament. Elle permet de soulager toutes les douleurs que nous portons. Elle est en quelque sorte l'âme de la vie. Souvent, je chante des berceuses en yiddish et en polonais que ma mère me chantait, histoire de tromper la mort. Ces mêmes chansons, je les ai chantées à mes enfants et à mes petits-enfants.»

Et si, par pudeur, elle a mis longtemps avant de parler de la guerre à sa progéniture, c'est pour laisser sa mémoire en héritage à ses petits-enfants qu'elle a enfin décidé d'écrire son premier manuscrit.

Et sans doute aussi pour qu'ils sachent que le responsable des atrocités commises dans sa ville natale de Vladimir Volynski a été reconnu non coupable devant les tribunaux. Après tout, il ne faisait qu'obéir aux ordres...

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'admire les gens qui savent révéler et célèbrer la beauté, surtout quand celle-ci croît sur un lit de ronces...

Merci pour ce beau portrait, fort inspirant...

La grenouille

claude andré a dit…

Merci la Grenouille. Tu es très sympa. Dommage qu'on ne puisse mettre un visage sur tes mots inspirés.

A+

ps: Reviendrai avec l'anecdote sur Cuba, sans doute cette semaine.

Anonyme a dit…

Si l'on se fie à Verlaine, il n'est nul besoin d'apercevoir un visage pour saisir l'essence de l'être qui en est paré...

Bien hâte au récit de tes tribulations à Cuba :-)

La grenouille