samedi 25 avril 2009

Francis Veber : L'homme blessé

-Entretien avec Francis Veber


À la fois hyper attachant et écorché, Francis Veber nous a parlé de L’emmerdeur, son remake auquel la critique française a servi un accueil glacial.



Claude André


Est-ce que Francis Veber est conscient qu’à chaque fois qu’il sort un film, il façonne l’inconscient collectif de la France ?

Oui. J’en suis conscient mais je n’en suis pas tout à fait responsable parce qu’on ne décide pas de quoi que ce soit dans ce métier. On ne décide par exemple d’avoir un film qui est champion au box office. On ne décide pas de frapper l’inconscient collectif. On ne décide pas : «tiens, je vais les faire rire à tout prix.» On met la même quantité d’amour pour faire un flop que pour faire un succès.


Pourquoi en 1973 n’avez-vous pas vous-même adapté votre pièce plutôt que de laisser Molinaro le faire ?

Je l’ai adaptée mais je ne l’ai pas mise en scène. À l’époque, je n’étais pas metteur en scène, je le suis devenu tout à fait par hasard. C’est à cause de Claude Berri... Il est responsable de bien des vocations et de bien des films. Quand j’ai écrit Le Jouet et que j’ai demandé à Claude : «Qui est-ce que l’on prend comme metteur en scène ?». Il m’a répondu : «Pourquoi est-ce que tu ne le ferais pas toi-même ?». J’ai découvert à ce moment-là que c’est un drôle de métier car on vous met dans l’avion sans que vous ailliez appris à piloter.


En 2005, vous avez repris votre pièce, pourquoi avez-vous conservé le titre L’emmerdeur plutôt que Le contrat ?

Ça c’est une idée de génie et assez vulgaire de mon producteur. D’ailleurs, lorsqu’il l’a appelé ainsi j’étais horrifié. Il m’a dit : zça va mieux marcher que Le contrat qui est un titre abstrait.» Et il a eu raison. Ça été affreux parce que j’étais horrifié par la vulgarité du titre et plus il était traduit dans les pays étrangers plus il devenait vulgaire. En Italie ça devenait Il rompiballe ce qui veut dire le casse-couille en Allemagne Le morpion


Le film avec Ventura et Brel est devenu un classique. Vous n’avez pas hésité à le reprendre quitte à vous faire taxer d’opportunisme ?

J’aurais du hésiter. J’ai l’impression de faire de la profanation de sépulture…


Ha ha ha ha…

Ça fait 35 ans. Bon ça fait deux générations. Je me suis dit peut-être que des jeunes vont découvrir le film. Ce n’était pas compter sur le fait qu’il passe souvent à la télévision en France. Donc le film était très connu. Je me suis attaqué à un souvenir, ce qu’il ne fait pas faire.


Comment est né François Pignon ?

Il s’appelait Perrin dans La Chèvre puis j’ai changé comme ça. Pour moi, Pignon, c’est un nom qui a quelque chose d’attendrissant. Puis, je me suis dit pourquoi ne pas le mettre dans le prochain. À partir de là, c’est devenu une habitude. Et maintenant, quand je commence un scénario je sais qu’il y a un copain qui m’attend qui s’appelle François Pignon. Quel que soit le rôle que je lui confie car il change vraiment beaucoup de personnage à travers les films. Mais ça reste toujours un petit homme dans la foule qui est pris dans une aventure qui le dépasse et à la fin le fait grandir.


Je dois vous avouer que j’ai ri à quelques reprises mais pas nécessairement pour les bonnes raisons. Comme ces blagues à caractères homosexuels…

Oh la la. Mon dieu que j’ai été imprudent et je suis content de vous avoir eu dans la salle. Parce qu’il y a une telle curée en France sur mon film. Une curée allègre, joyeuse, ils étaient tellement contents car après tant de films, je leur donnais l’impression de ne pas avoir besoin d’eux. De tout à coup pouvoir planter leurs crocs dans ma gorge... À la fin je me disais presque «ça leur a fait tellement plaisir que j’ai bien fait de faire ce film». Et c’est vrai que je n’ai pas l’impression que le film comique soit la tasse de thé des critiques. Cela dit, je n’ai aucune antipathie pour les critiques. Ils font leur métier, je fais le mien. Il n’y a pas plus ridicule que de critiquer les critiques. Lelouch qui est amer contre les critiques, je ne veux pas devenir comme ça. Il y a une chose qui me frappe: très souvent les critiques sont politisés et le rire est subversif. Le rire empêche de faire la révolution.


Le rire est donc suspect ?

D’une certaine manière pour une certaine partie de la critique. Je comprends très bien que je ne fasse pas rire tout le monde vous voyez. Moi il y a des films que je ne comprends pas. Je vois la critique s’enthousiasmer, alors comme j’essaie d’être honnête je vais voir. J’ai été juré à Canne vous savez. Il y avait un film de Godard qui s’appelait Détective, et bien c’est le seul film où j’ai vu des gens siffler en s’endormant. Lorsque l’on s’est retrouvé en délibération, les gens ont dit : «il faut donner un prix à Godard». J’ai dit : «pourquoi, les gens sifflaient en s’endormant». Vous n’imaginez pas le tollé contre moi…


C’est vrai que l’humour est la politesse du désespoir ?

Oui, absolument. Vous savez moi je suis comme tous les comiques : un dépressif léger. Et la seule façon pour moi de m’en sortir est de faire rire les autres.

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