«Pornographie mémorielle»
En décembre dernier, après avoir fait état sur Facebook de ma grande appréciation du bouleversant film La Rafle qui porte sur les événements du Vel’d’Hiv, je me suis retrouvé avec ce commentaire pour le moins évocateur : «tu as raison, on n’en parle pas assez».
La remarque qui se voulait ironique en relevant une prétendue surabondance d’œuvres qui traitent de la Shoah s’avérait pourtant fort judicieuse : pour la première fois on déverrouillait ce sombre épisode de l’histoire de France au cinéma en faisant un film sur la nuit du 16 au 17 juillet 1942 où 13 000 Juifs furent enfermés au Vélodrome d’Hiver avant d’être expédiés vers la mort.
Mes «amis» virtuels étant des gens très bien, il s’en est suivi un échange des plus courtois avec notamment celui qui reprenait à son compte un certain néo cynisme ambiant qui fait en sorte que plusieurs évoquent l’entreprise mercantile dès qu’il est question de la Shoah. Comme s’il n’y avait plus de démarche artistique à ce sujet qui ne soit suspecte. «Pornographie mémorielle», disent même les Dieudonné de ce monde.
Vous savez, cet ancien comique dont le ressentiment envers les «sionistes du CNC 1» serait grandement imputable aux refus de ces derniers d’accorder un financement à «Code Noir » son projet de film sur l’esclavagisme. Financement qu’il n’aurait pourtant jamais demandé ! selon l’auteure Anne Sophie Mercier (La vérité sur Dieudonné, éd. Plon 194 p.) qui précise qu’il s’agissait plutôt d’une demande d’aide à l’écriture qui lui aurait été maladroitement refusée.2
Évidemment, un certain lobby étoufferait par la même occasion les atrocités commises à l’endroit des autres peuples tels les Arméniens, les Noirs ou encore les Tsiganes afin de s’arroger le «monopole de la souffrance.»
En mai, j’ai eu le privilège de réaliser une entrevue avec l’immense Tony Gatlif, réalisateur de Liberté. Ce film qui porte sur les Tsiganes déportés dans des camps de concentration en compagnie des Juifs, communistes et homosexuels.
L’une des plus grandes difficultés de Gatlif, qui souhaitait faire ce film depuis longtemps, dans son processus créatif a été de débusquer des témoignages et des archives sur le sujet car les Tsiganes ont longtemps eu peur des morts. Peur d’en parler, peur de les réveiller. Cette hantise criante aujourd’hui dissipée, selon Gatlif, aurait néanmoins été présente jusque dans les années quatre-vingt.
Or, ce que souhaitait le réalisateur, en plus de témoigner du génocide d’entre 250 000 et 500 000 Roms c’était de l’officialiser sur le plan politique. Ce qui a été fait au Parlement européen en février dernier. Outre la reconnaissance politique, Gatlif tenait également à rendre hommage aux Justes qui ont sauvé des vies.
Il rejoignait en cela la volonté de l’ancienne journaliste Rose Bosh qui a signé le film La Rafle. La réalisatrice, fille d’un anarchiste catalan qui a été enfermé sous Franco et qui, rappelons-le, n’est pas juive, partageait également cette volonté de souligner le courage de ces Justes à travers son long métrage. Chose à laquelle elle est parvenue de façon magistrale malgré les accusations de manipulations émotives. Comme si le sujet n’était pas assez odieux en soi…
Cinéma vérité
Un autre opus magistral sur le Shoah paru en 2010, outre la série Amour, Haine et Propagande produite par Radio-Canada, a été Le Cœur d’Auschwitz : une enquête menée de son propre chef par le documentariste québécois Carl Leblanc autour d’un objet de papier en forme de cœur qu’il a vu par hasard au Centre commémoratif de l’Holocauste de Montréal et sur lequel on retrouve un «F» brodé en tissu.
Se déployant tel des origamis, l’objet de la taille d’un caillou contenait une dizaine de pages collées entre-elles sur lesquelles étaient inscrits des vœux signés parfois d’un simple prénom. L’objet en question avait été confectionné dans le plus grand secret par des codétenues qui l’ont offert, le 12 décembre 44, à la jeune Fania qui célébrait ce jour-là ses 20 ans à …Auschwitz.
Encore une fois, une des plus grandes difficulté de ce film, et on le voit très bien en ouverture, a été de convaincre ses protagonistes de participer à l’enquête tant cela réveillait des vieilles plaies qui ne seront jamais tout à fait cicatrisées. Si le réalisateur soutient qu’il s’agit avant tout d’une histoire humaine, il se pose en quelque sorte lui même en Juste a posteriori en tournant un documentaire percutant et touchant qui nous rappelle que la grandeur de l’âme humaine peut fleurir au milieu de l’horreur (On saluera au passage l’utilisation de la très belle chanson, en français, de Daniel Bélanger La Folie en quatre qui se marie à merveille au générique final).
Encore une fois, une des plus grandes difficulté de ce film, et on le voit très bien en ouverture, a été de convaincre ses protagonistes de participer à l’enquête tant cela réveillait des vieilles plaies qui ne seront jamais tout à fait cicatrisées. Si le réalisateur soutient qu’il s’agit avant tout d’une histoire humaine, il se pose en quelque sorte lui même en Juste a posteriori en tournant un documentaire percutant et touchant qui nous rappelle que la grandeur de l’âme humaine peut fleurir au milieu de l’horreur (On saluera au passage l’utilisation de la très belle chanson, en français, de Daniel Bélanger La Folie en quatre qui se marie à merveille au générique final).
J’ai revécu encore une fois une semblable émotion indignée en visionnant, pendant le congé de Noël, Racines (Roots) tiré du roman éponyme d’Alex Haley. Une oeuvre qui raconte la saga d’une famille d’esclaves exilée de force sur le sol américain et qui s’est avérée, contre toute attente, un immense succès. Le pari était tellement risqué, on voyait rarement des Noirs à la télé à l’époque, qu’elle avait été d’abord programmée en rafale à la télé américaine en fin d’année pour pallier aux faibles audiences appréhendées.
C’est cette fondatrice télésérie culte qui, comme pour plusieurs, contribua plus tard à m’initier au militantisme contre l’apartheid en Afrique du Sud.
Ah oui, un détail : n’en déplaise à Dieudonné et ses amis conspirationnistes, elle a été produite par un certain David L. Wolper… et oui, encore un Juif.
1 - Le CNC est le Centre national de la cinématographie.
2 - Précisons ici que l’avocat de Dieudonné n’a jamais demandé la suppression de ce passage lors de la poursuite post parution du livre. En outre, il semblerait que seulement 10 à 15 % des demandes aboutissent. Et que des gens dont la réputation n’est plus à faire, telle la cinéaste Tonie Marshall, se sont vus également refuser l’aide.
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Article paru dans TRIBUNE JUIVE édition Mars 2011
Chronique «Carte blanche»
Chronique «Carte blanche»
1 commentaire:
encore une fois, je ne peux m'empêcher de trouver ton analyse excellente, fouillée, bien rendue et oui, comme toujours tu fais la part des choses. Par contre moi j'aimerais un peu plus de films sur...les palestiniens et leurs souffrances? question d'équilibrer la donne...sinon, on ne voit les choses que d'un côté et comme journaliste, j'ai de la difficulté avec la partialité, je ne parle pas de l'holocauste bien sûr mais pour ce qui est de la partialité dans la vision que nous les occidentaux pouvons avoir à regarder ou à lire concernant le conflit judéo-palestiniens.
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