jeudi 14 février 2008

Citizen Jane



Escale à Montréal de la grâce incarnée et fragile

Claude André


Voir Birkin en spectacle c’est comme s’attendrir du vol affolé d’un oiseau aux ailes fracassées. Une forme de sublimation de la beauté frêle Pas étonnant d’apprendre qu’elle décida de s’exiler de la chanson à la mort de Gainsbourg en 1991 quelques jours avant celle de son père, le commandant de la Royal Navy David Birkin. Puis, les ailes recousues, tant bien que mal, elle devint prêtresse du mythe de l’homme à tête de choux et choisit de faire rayonner son œuvre à travers la planète. Il aura fallu 5 ans de deuil pour enfin publier Versions Jane en 1996, puis À la légère en 1999 et le très célébré Arabesques, consacré à l’œuvre de Gainsbarre, en 2002.

Après une séance de visionnement de vieux clips du tandem Gainsbourg-Birkin sur Youtube, c’est avec, notamment, une question relativement délicate au sujet d’Arabesques que l’auteur à téléphoné à l’Anglaise mercredi dernier de bon matin. Citizen Jane souhaitait-elle, avec ce disque, contribuer au rapprochement entre deux peuples en interprétant des classiques de Lucien Ginzburg sur des orchestrations arabisantes ? «Ah oui. Il y a des trucs comme ça sur Youtube. C’est super. Je ne vais jamais là-dessus», commencera-t-elle par s’exclamer avant d’énumérer sa douzaine de venues au Québec dont une, hélas pas enregistrée, avec Seige en 1990. Puis, après cet échange de bons procédés, elle plonge dans ses souvenirs : «Des musiques arabes sur les chansons du Juif, vous mettez le marteau sur le clou comme on dit», lance –t-elle en souriant avant d’expliquer avec moult détails la naissance du concept. «France Culture m’avait donné carte blanche pour un spectacle en direct, à la radio, du prestigieux Festival de théâtre d’Avignon. Comme je ne suis pas quelqu’un qui aime faire des lectures, contrairement à ma fille Lou qui est géniale, j’ai téléphoné à mon directeur artistique pour lui demander ce que je pourrais faire pour surprendre les gens. Il m’a dit : Vous avez chanté des chansons de Serge depuis 20 ans. Donc ils ont tout entendu. Tu peux en faire deux ou trois au piano, mais si j’étais toi, quitte à choquer les gens, j’essaierais de trouver un autre angle complètement. Écoute Djemel Benyelles. Ce que j’ai fait. Puis, quand j’ai demandé à Djamel de faire un essai sur Élisa, les gens de la maison de la radio étaient sidérés (…). Puis, j’ai rencontré un manager, je n’en avais jamais eu. L’idée d’aller chanter à Ramallah,Gaza et Tel-Aviv est venue plus tard. Fallait d’abord demander aux musiciens s’ils voulaient jouer à Tel-Aviv, ce qui n’était pas évident . Djamel Benyelles m’a répondu : écoutez, nous serions fiers de jouer des chansons de Serge Gainsbourg et d’avoir une audience de Juifs, debout, qui nous applaudit», se souvient la Jane avec émotions.

La sélection naturelle

Mais toute bonne chose ayant une fin, comment la muse de Gainsbourg choisit-elle ses chansons, désormais. Pour Fictions, son dernier album paru en 2006 par exemple ?«Je n’ai pas choisi les chansons pour «Fictions». C’est Gonzales et Renaud Letang qui ont fait un tri de ce qu’il leur semblait être les meilleurs nouveaux artistes en France et en Angleterre. La seule chose que je voulais faire moi était de chanter «Alice» de Tom Wait (paroles Kathleen Brennan). Je voulais aussi faire une chanson de Kate (Bush). Sinon, je n’ai pas d’idées moi, généralement. Et ils ont eu la bonne idée de récupérer Cali que j’avais refusé, et j’ai été bien bête, pour l’album «Rendez-vous» (2004). Et il y a eu Rufus Wainwright, j’ignorais qu’il avait du temps pour m’écrire des chansons quant à Divine Comedy, je n’aurais jamais osé leur demander des chansons. Pour Beth Gibbons cependant j’ai osé et pour The Magic Numbers, j’ignorais leur existence. C’est Gonzales qui était au courant de tout ces artistes qui ont écrit des chansons merveilleuses pour moi, qu’ils auraient du garder pour eux d’ailleurs. Les cadeaux sont somptueux. Est-ce qu’il m’est arrivé de dire à un artiste, même célèbre, que ça ne me convenait pas ? Oui, souvent. Mais je ne demande pas, en principe, aux personnes dont le travail est susceptible de ne pas me convenir. C’est moi qui fais la demande, donc c’est a priori, des personnes que j’aime. C’est plutôt eux qui ne trouvent pas l’inspiration ce jour-là où qui n’ont pas envie. Et ce n’est pas la moitié de la planète qui m’envoie des chansons», révèle l’attachante interprète. «Mais c’est vrai que nous avons reçu des réponses positives de toutes les personnes à qui nous en avons demandé. Même des personnes un peu obscures comme Tom Wait. Cependant, il m’arrive parfois d’écrire des choses comme la pièce Oh ! Pardon tu dormais. Quand on me demande de la jouer, je suis plus que contente car une pièce de théâtre ou une chanson n’existent pas si elles ne sont pas jouées. Mais de se mettre devant une page blanche pour vous écrire une chanson en plus de courir le risque de se faire dire «ce n’est pas ce que j’avais en tête» relève pour moi d’une modestie sans nom ».

Cette incarnation de la féminitude aérienne ailée d’humilité nous proposera un amalgame de chansons tirées de Fictions, Rendez-vous et, bien sûr, du répertoire de Seige. Mais que des chansons qu’elle n’a pas interprétées lors de ses trois escales montréalaises pour Arabesques comme «Manon» ou «Le moi et le je». Et si Seige se retourne dans sa tombe, ce sera pour mieux écouter. Of course.

Samedi 23 février 2008 à 19 h 30
Théâtre Maisonneuve - PdA
514-790-1245

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