mercredi 14 mars 2007

Saisir le temps


Aujourd'hui je vous propose un portrait d'un peintre jet-setter paru dans le Magazine 8 en août 2006. Magazine hyper léché qui bien qu'excellent n'aura connu qu'un seule édition parce que dirigé par ce qui s'est avéré être un escroc.

Paris, New York, Londres, Tokyo, Singapour, Pékin… entre deux vernissages dans des mégapoles où il se rend fringué Dubuc, le peintre Sylvain Tremblay immobilise le temps et saisi l’urbaine modernité.

Claude André

Oubliez l’image d’un Van Gogh torturé par l’absinthe ou celle d’un Riopelle enfilant les clopes dans le cafard matinale de la fin d’une nuit blanche, l’artiste contemporain Sylvain Tremblay est de la tribu qui redessine le cliché.

Le jour de notre visite, en mars dernier, son splendide atelier situé en dessous de son loft près du Parc Lafontaine à Montréal, ressemblait à une caverne d’Ali baba.

À travers la porte de verre, le journaliste admire une cinquantaine d’œuvres disposées ça et là destinées à être photographiées pour la création d’un livre d’art.

Ce qui subjugue d’emblée et nous accroche un sourire d’enfant le jour de Noël, ce sont les effets du vernis-mirroir sur les toiles aux couleurs souvent très vives, style provençale, plus chatoyantes les unes que les autres qui laissent l’impression que les toiles baignent dans une nappe d’eau.

Voilà sans doute ce qui fait l’unicité de l’artiste natif de Québec. Putain, ce qu’il en jette ce vernis !



Peut-être aussi parce qu’il évoque, au premier regard, un biscuit glacé tiré d’un conte imagé ou une patinoire qui nous ramène à l’enfance qu’il a un effet aussi saisissant.

La thématique de prédilection de cet émule de Giacometti n’a pourtant rien à voir avec les questionnements de l’enfance : le temps : « Il s’agit toujours de personnages filiformes qui s’inscrivent dans une démarche qui vise à capturer le temps. Les personnages en question se retrouvent dans un environnement presque dénudé de références réalistes. On ne sait pas où ils sont car leur décor se situe surtout dans l’abstraction bien qu’on y retrouve parfois un siège ou un banc. Pour accentuer le côté intemporel, toutes les textures sont grattées, grafignées…histoire de conférer un impression de vécu au tableau », relate l’artiste résolument urbain.

Car là ou des paysagiste utilisent les arbres, la mer ou le ciel, Sylvain Tremblay se sert de l’acier, du béton de l’asphalte. « Ce la ne signifie pas qu’il s’agit de ce que l’on voit exactement sur les tableau mais c’est ce que j’observe », confie-t-il. « Vraiment superbe, sincèrement. Même si je suis loin d’être un exégète », lance votre serviteur enthousiaste après que l’artiste lui eu fait faire le tour de la galerie.

«Au fil de mes rencontres, je me suis rendu compte que le fait de très bien connaître l’art ou pas du tout, ne fait pas en sorte que l’on puisse mieux l’apprécier. Ce qui importe, c’est la sensibilité et l’ouverture. Il faut être ouvert, avoir envie de regarder un tableau. Une personne peut passer devant la toile d’un peintre de grande renommé et ne jamais la voir », souligne Tremblay en créant ainsi un doux climat de complicité entre lui et votre serviteur.



Choisir la peinture comme on prend l’exil

Acclamé par le marché et autodidacte, voilà de quoi créer de l’urticaire chez quelques puristes dont certains le regardent de haut. Avec une envie dissimulée, peut on imaginer.

Car, crime ultime, l’artiste de 39 balais est issu du monde de la pub.
Wouch, le vilain mot. Ancien dessinateur, le gus donnait dans l’illustration de livres pour enfants et les story board pour la pub.

Mais pendant cette douzaine d’années, Tremblay jonglait avec l’idée de tout bazarder pour réaliser son rêve de gamin : devenir peintre.

À 34 ans, il quitte l’univers publicitaire avec un pécule qui devait lui permettre d’assurer pendant une dizaine de mois.

Il aura fallu environ deux ans pour que Sylvain perce le marché et depuis le train est emballé. « Pourquoi pas avant ? La publicité était une excellente école. Elle m’obligeait à essayer toute sortes de choses, me permettait de développer ma technique afin d’atteindre mon but. Je voulais, à la façon d’un pianiste, être capable d’exécuter ce que j’imaginais. Pas seulement jouer des choses avec lesquelles je serais confortable. Bref, posséder la maîtrise de mon art. Aussi, je voulais savoir qui j’étais… », explique le peintre dont le principal fournisseur de matériaux a été une quincaillerie pendant un moment tant il explorait des avenues picturales : bois, métal, plâtre… C’est d’ailleurs au cours de ces pérégrinations artistiques que le vibrant personnage a eu la baraka qu’une pléthore d’artistes a cherché toute une vie sans jamais y parvenir : trouver son style. « J’étais en train d’explorer des textures. J’ai commencé à épaissir mes personnages avec du plâtre. Et j’ai décidé d’appliquer un vernis autour. Or, lorsque j’ai accroché le tableau, une partie de mes personnages se désagrégeait. Je me suis dit : «merde, il faut que je les protège». Me suis donc procuré un vernis très puissant et l’ai appliqué histoire de protéger le tableau. Ma première réaction n’était pas enthousiaste : trop reluisant. Puis, je suis allé tenter d’autres avenues mais je revenais toujours à cette toile ». Le style unique de Tremblay venait de naître.



Exit l’agent

Des connaissances communes présentent un jour le travail de l’artiste à un agent et ce dernier subodore rapidement le potentiel commercial de l’artiste. Il le prend donc sous son aile mais quelque temps plus tard leur relation vire à l’eau de boudin car notre «capteur de temps» décide de voler de ses propres ailes. Geste qui bien sûr contrarie ledit gérant qui y voit là un gênant désaveu.

En plus de froisser l’amour propre, cette rebuffade pourrait entraîné un effet domino chez les autres artistes de l’agent dont une source anonyme nous indique qu’il aurait contribué au développement du style de Tremblay. Le gérant en question aurait même enseigné récemment à un autre artiste sous son giron la technique particulière de Tremblay. Les couteaux volent donc très bas dans le milieu de la peinture friquée.



« J’étais persuadé que je pourrais obtenir de meilleurs résultats par moi-même. Par mes propres contacts, je voyais qu’il y avait une ouverture vers l’Europe. Je sentais que je pouvais aller plus loin qu’avec cet agent qui possédait déjà son réseau au Québec et sa galerie à Miami. Je rêvais de New York et Paris et lui ni croyait pas vraiment. Mais je comprends qu’il ait ressenti de la frustration. Aujourd’hui, là poussière est retombée. Et pour répondre à ta question, oui mon ancien agent a assisté au processus évolutif de mon style mais d’aucune façon il n’y a participé », avance celui qui ne veut visiblement pas s’étendre davantage sur le sujet.



Puis, l’artiste businessman nous explique les contraintes qui font en sorte que dès qu’un agent se retrouve avec un tuyau, une opportunité, il doit constamment choisir auquel des ses artistes il le refilera.

Ce qui n’est pas le cas de quelqu’un qui se représente lui-même. Comme Tremblay qui, un jour, a décidé qu’il était habilité à le faire. « J’ai été à mon compte pendant douze ans. Alors je sais me représenter. Avec chacune des galeries avec lesquelles je travaille, les choses ont fonctionné différemment. À New York par exemple, j’ai adressé une lettre très personnalisée au propriétaire de la galerie avec vidéo, images et dossier», lance cet amateur de golf qui joue également hockey dans une ligue. Comme une incarnation ultime de cette nouvelle réalité qui fait en sorte que les artistes doivent sortir de leur atelier. « Le côté business représente environ 10 % de mon temps avec les courriels et les téléphones. À l’occasion, je me présente dans un vernissage et je serre des mains. Je crois au contact humain entre l’artiste et l’amateur », souligne ce noceur de week-end qui aime énormément organiser des surboums dans son loft.

Pour la suite des choses, Tremblay prépare une exposition de peinture issue d’une démarche «underground» en plus d’explorer de plus en plus la sculpture. Il cogite également avec l’idée de se créer un personnage comme l’a fait un jour Andy Warhol, précurseur dans ce domaine. «Avec lui, le créateur devenait aussi important que l’œuvre elle-même. Peut-être créerais-je aussi un personnage un jour. Car il est vrai que lorsqu’un artiste se rend dans une galerie, il est toujours en représentation, un peu comme au théâtre».

Avec des toiles qui se détaillent à plus de 12 000 US à l’étranger, Sylvain Tremblay qui en produit environ deux par semaine semble pourtant conservé le sens de la réalité et basta la fausse modestie. «Je ne veux pas rouler en Porsche parce que mes amis n’en n’ont pas et je ne voudrais pas avoir l’air du gars qui se la joue supérieur. Quant au futur, j’espère que mes tableaux n’atteindront pas des prix vertigineux. Ce qui me contraindrait à n’en réaliser qu’une vingtaine par année question de ne pas saturer le marché comme l’a fait Riopelle».

De plus en plus plagié, Tremblay a donc su avec un style unique se tailler une place plus qu’enviable. Sans le talent certes, mais aussi une attitude conquérante, une discipline rigoureuse et la chance d’avoir eu un richissime homme d’affaires comme Bernard Lamarre (Lavalin) sur sa route (qui a un jour fait monter les prix pendant une enchère), Tremblay serait-il devenu la coqueluche des bureaux d’avocats ? Savez, ces représentants de la post-modernité fourmillant dans les reflets de verre et d’acier qui à défaut d’avoir du temps tentent de le suspendre au mur à travers les toiles de Tremblay.

En tout cas lui, il n’y songera pas lorsqu’il se retrouvera dans cette galerie qu’il compte bientôt ouvrir sous le ciel des Bahamas, un verre rouge et exotique à la main. Avec une toile remplie de mer pour arrêter le temps.

www.sylvaintremblay.ca

1 commentaire:

Dianerythme a dit…

C'est ce que j'appelle suivre sa bonne étoile... Je ne connaissais pâs ce peintre avnt que tu en parle, tres intéressant clod merci...........xox