samedi 17 avril 2010

New Denmark de Rafaël Ouellet




Nuages lourds

Après avoir séduit les amateurs de cinéma indépendant avec ses deux premiers films, le réalisateur Rafaël Ouellet revient surprendre la galerie avec l’onirique New Denmark.

 Claude André

Carla, 16 ans, placarde des affiches un peu partout dans le village. Sa sœur est disparue. Sous un ciel gris et lourd parsemé de nuages immenses, la jeune fille entreprend de la retrouver. On suit son périple et sa perte d’innocence dans un quasi road movie qui nous mènera à New Denmark, Nouveau Brunswick.

À travers une quête initiatique où les dialogues sont réduits à leur plus simple expression au profit d’images suggestives et de quelques indices glanés ici et là, la jeune fille (excellente Carla Turcotte) en état de choc oscille entre le rêve et la réalité.

Privilégiant le regard de la jeune femme et de son entourage d’amis, le réalisateur écarte la probable enquête policière et le monde des adultes, sauf pour un personnage masculin dans la quarantaine qui acceptera de prendre Carla à bord de son auto et dont on se demande la nature des ses véritables intentions.
Avec sa direction d’acteurs efficace, New Denmark est un film impressionniste où tout ce passe dans les regards, les silences et les cadrages. S’il confirme la maîtrise de son réalisateur destiné à un très brillant avenir, on aurait aimé parfois des indices un peu plus explicites et certaines scènes mieux définis comme celle où l’équipe de soccer de la Carla se rend au cimetière.

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Entretien avec le réalisateur Rafaël Ouellet


Comment vous est venue l’idée de ce film ? Je voulais absolument tourner un film à l’été 2008 et à ce moment-là, j’ai pensé a une fille d’environ 25 ans qui avait été portée disparue 6 mois plus tôt. J’étais un peu abasourdie face à l’absence d’intérêt de tout le monde. Quand Cédrika est disparue, nous connaissions tous son prénom, sa couleur de cheveux… et pourtant, cette fille-là, je ne peux même pas dire comment elle s’appelle moi-même. Parce qu’elle était âgée de 25 ans, les gens prennent pour acquis qu’il s’agissait peut-être d’une fugue, de prostitution ou d’un suicide ? Je me suis dit : «elle vit peut-être un drame aussi grave que celui de Cédrika Provencher…». Deuxièmement,  il y avait un groupe de jeunes, dans mon village, qui étaient disposés à travailler avec moi sur un film.

Votre village en Acadie ?
Non, New Denmark c’est aux frontières du Nouveau Brunswick et c’est le village voisin du mien qui Ville Dégelis (Temiscouata). Avec tous ces ingrédients, j’ai commencé à imaginer une histoire autour de cela. Et puisque mes films tournent autour de la perte de l’innocence, de la solitude et du deuil,je ne m’en sors pas et ce n’est pourtant pas volontaire …N

On remarque, avec vos trois films, que vous privilégiez les filles aux garçons.
Dans la réalité, avec des gars, ça devient rapidement autobiographique. Quand j’écris pour des filles, je peux décoller davantage. Je verrai en vieillissant mais pour l’instant c’est l’effet que ça me fait. Et puis la relation réalisateur/actrice m’a toujours un peu fasciné à l’instar de mes cinéastes fétiches.

Qui sont?
Ingmar Bergman, c’est sûr que ça reste en tête de liste. Ensuite, pas très loin derrière il y a les frères Dardenne. Si on remonte en arrière, Woody Allen, Fassbinder…La relation actrice et réalisateur c’est assez fascinant quand même. Aussi, comme je suis dans l’économie de moyen par choix, mais aussi pour des raisons techniques et économiques, je travaille avec des adolescents et dans ma réalité à moi, les filles sont beaucoup moins coincées que les garçons quand vient le moment d’apprendre un texte ou d’exprimer des sentiments.

Parlant de sentiments, votre film est très ouvert en terme d’espace, d’air, de ciel en même temps il y règne un climat de lourdeur…
Absolument. La première chose que j’ai dite à Carla c’est : «le film vient de commencer et tu t’es fait abattre par un camion». Pendant tout le film, c’est une onde de choc qui se produit et à chaque fois que j’ai pu glisser quelque chose au profit de cette idée-là, que ce soit un ciel, que ce soit un son ou que ce soit  des amis pour lesquels la terre continue de tourner, je m’en suis servi.

Radicalement indépendant, vous financer vous même vos projets cinématographiques avec les sous que vous gagner en travaillant à la télé…
Je dis souvent à la blague qu’au lieu d’investir dans une salle de bains ou dans des reer, j’investi dans ma carrière en finançant mes films. Je ne comprends que des gens qui font beaucoup plus d’argent que moi n’investissent pas dans leurs propres films. Il y a des persones qui demandent 7 millions aux institutions et ensuite ils pleurent dans les médias. Moi, si je suis capable de sortir 15 000 dollars alors que cette personne vit dans une grosse maison et que son film a fait beaucoup de sous aux box office, je me pose des questions.

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