Assis au Zinc. Relents pestilentiels de collabos au-dessus des vapeurs du rhum. Je malaxais mon mal être. Tonton Marcel, mon pote, venait de cocufier la Grande Faucheuse. Pour la dernière fois. Mamie, sa femme, ma grand-mère, l'aurait suivi même en enfer. Moi, seul dans mon coin, j'avalais mes pintes de colère.
Ras le cul d'adresser des sourires à ceux qui voulaient ma peau. Ras le cul d'écouter les blagues des faux amis, leurs rengaines.Le coeur crispé, les dents lourdes, je ne pensais qu'à toi. Remords des dieux du ciel, promesse d'éternité, tu m'avais demandé, la veille, entre mes bras: "comment vas-tu?". Je t'ai dit: "Ça ne va pas". Déçue, tu as relancé: "Depuis le début, c'est la même chose".
Tu m'excuseras de n'avoir su, devant tes copines, légitimer notre histoire. Tu m'avais parlé d'une soirée. Pas vraiment envie de t'y rendre. "Toi, quels sont tes plans ?", m'avais-tu demandé. "Ou je rentre et je pleure ou je rejoins des potes qui me réclament à l'ivresse. Si jamais un quidam me fait chier, saura où me trouver".
Si peu de mots, tant d'imbécillité. Colère et dépit. Tu m'as demandé ton foulard noir, ce soir là. Cette écharpe que je t'ai chopé ensuite et que je porte depuis, comme Maurice Fanon et sa chanson L'Écharpe, en souvenir de nous.
On s'était effleuré les lèvres , puis tu t'en es allé. Stupéfait, pétrifié, tétanisé, ne savais plus à quel diable me vouer.
"Comment peut-elle me quitter pour se rendre à un autre lieu où je n'y serai même pas, sans même suggérer qu'on se retrouve plus tard", m'étais-je interloqué. Habité, à cette épique époque, par ce désespérant besoin d'amour bien connu des surfers de l'enfer.
Et puis moi, n'aurai-je pas tout plaqué par une simple requête des ses yeux? Évidemment, ah l'amour et son iniquité. Ah la vache.
J'ai retrouvé, je me souviens, mon pote Yves au Conti. Un mec de la téloche. Bon vivant que j'aimais comme frère avec et malgré sa maniaco-dépression. L'était accompagné de El Nino, un recherchiste plutôt belle gueule mi-vingtaine désormais en couple avec une journaliste féminisante plutôt reconnue.
Soudainement, le cellulaire d'Yves a toussoté. C'était Hélène, une amie à moi avocate anarchisante bourrée de fric. Elle semblait avoir conservé un excellent souvenir de la dernière tournée des Grands Ducs qui s'était terminée chez Yves à l'Île des Soeurs dans le champagne et les balbutiements. S'est pointée au Conti. Bises. Yves a dû nous quitter because son kid. L'Hélène s'engueulait avec le recherchiste plutôt belle gueule de Black Out. Une émission trash de laquelle je venais d'être viré. Conflit générationel. Re-tentative de discussion. Échec et mat.
On s'est barré au Barou'f. Bar cool rue Saint-Denis. Miloud, le patron algérien nous a gratifié de son habituel baratin. Enfin, surtout à l'Hélène qui y déversait régulièrement le contenu ses généreux goussets.
L'ambiance? Plus la même. La colère et le ressentiment de bibi, qui venait injustement d'être congédié parce qu'il menait une vie trop rock and roll aux yeux du mormon patron, se manifestaient de plus en plus. Black russian, on se les enfilaient hop, hop, puis re-hop... Cacahuètes, scotch...la fringale commençait à nous mordiller les entrailles. Driiiiiiing. Hélène a agrippé son portable. C'était Yves. Nous invita à souper. Taxi. Direction Île des Soeurs. Escale à la société des alcools. Pinot noir et Château Margaux.
Je commençais à me dédoubler en Hemingway, faute au rhum brun. Délire. Souvenirs. Cuba. "Fuck l'embargo des Amerloques", me disais-je. Retour au taxi. Picole. Piaule de Yves. L'était avec son kid. On a regardé avec eux quelques combats extrêmes à la télé. Avec l'émission Black Out qui valorisait l'affrontement, la rupture amoureuse avec toi, ça commençait à bouillonner grave dans mes tripes.
Les combats extrêmes, vraiment trop cons. Bouffe. Repus, on a décidé tous les trois de nous rendre au Set. Bar de vieux looser? Si. Mais nous étions assurés d'y trouver de la poudre d'escampette.
Rebelote taxi.
J'avais une grande gueule. Le chauffeur aussi. Danger. Assis côté copilote, on a causé politique. Erreur. Y'en avait marre. j'ai quitté le cab.
Le chauffeur a formulé un code d'urgence à ses collègue et sorti de sa caisse. Proposé la bagarre. Lui ai enfilé le ko. Ses amis chauffeurs sont arrivés en trombe. Deux, quatre, sais plus le nombre. M'ont encerclé. Puis passé à tabac. Me suis recroquevillé.. Fauve en colère. Étoile rouge. J'ai frappé un constable qui venait pourtant de me sauver la peau et tentait de retenir mes élans vengeurs. Erreur.
Il ne faut jamais frapper l'arbitre au grand jeu de la rue.
Menottes. Poste de police. "Merde, je vais louper le baptême du premier enfant de Carole et Marion demain", me suis-je dit .
On m'a retiré mes lunettes devenues écartelées. Enlevé les lacets de mes bottes. Procédure habituelle histoire d'éviter que les prévenus se trépassent themselves. On m'a demandé si j'avais de la dope. "Non, mais j'ai un bon contact si vous en voulez". Réclamé mon droit à un appel téléphonique. "À quel nom?". J'ai prononcé le tien. Tu es célèbre. Ils ont rigolé. Ne m'ont pas pris au sérieux, moi le pauvre type. Malgré mes vapeurs éthyliques, j'ai subodoré qu'un des flics ne voyait pas les choses de la même façon. Je l'observais du coin de l'oeil amoché. "Fuck, c'est l'ancien amant dont elle m'a déjà parlé". Dois-je être rassuré ou craintif? Voilà qu'en plus d'avoir tabassé un flic me voilà en face de mon rival pour toi, ai-je cogité.
Direction cellule. Mes deux cerbères m'ont fait longer un couloir qui nous éloignait de plus en plus du comité d'acceuil et de ses éventuels témoins.
"Me feront-ils la peau?", m'ai-je demandé. Je freakais et tentais de me donner contenance en ironisant: "Est-ce ici que vous avez achevé Barnabé", j'ai dit en faisant allusion à ce pauvre clodo qui a trouvé la mort, après un long coma, résultat d'un passage à tabac policier quelques années plus tôt. On l'avait maintenu en vie artificiellement assez longtemps afin que les coupables, par prescription extinctive, ne soient plus sujets à d'éventuelles accusations de meurtre.
La paranoïa s'accrocha à moi comme un pute qui sait qu'il vous reste de la came. Mon heure était-elle venue? L'aventure s'achèvait-elle ici? Dans ce poste de police du centre-ville sous le ciel enneigé de Montréal, Amérique du Nord...
Lu trop de thriller avec la Shoah en toile de fond. Vu trop de films sur ce que les non-initiés nomment l'holocauste, ce mot qui veut véritablement dire: suicide collectif!
Seul dans ma cage de céramique et de fer. En face, un maigrelet nu comme un ver sanglotait. Je redécouvrais la solidarité que le cynisme de mes années télé allait me faire oublier. J'ai enlevé mon pantalon. Retiré mon boxer et lui ai lancé à travers les barreaux.
Sous l'emprise de la honte et de l'humiliation, nous sommes tous de la même race. Je pensais à toi. Nuit longue. On m'a apporté un muffin et un berlingot de lait. Cherchais le sommeil comme on cherche un pays. Impossible avec cette ampoule aveuglante. Un nouveau détenu est arrivé dans ma cage. Visiblement en manque d'héro. Ai demandé au junkie quel était son crime. "J'ai braqué une caisse populaire", il a murmuré. Je ne lui ai pas fait par remarquer que ces institutions financières ne nous arnaquent pas la nuit et que, conséquemment, elles sont fermées car je venais de comprendre quelque chose: Même dans la plus grande détresse, on veut encore se faire croire que nous sommes des héros...
De ma cellule, je pensais à Koestler et son magnifique Le Zéro et l'infini. À Henry Miller et au Château Margaux. Même prénom que ma pauvre mère. J'ai pensé à toi, évidemment.
Et comme Leonard Cohen qui a rigolé en regardant les abysses où tous les autres ont pleuré, j'ai tenté de m'inventer un rictus intérieur. Puis, j'ai souri. Car même si ce soir là, on m'a emmenotté à ma débauche, j'étais heureux d'être en vie. Tu n'es jamais revenue, mais ce soir-là, j'ai enfin retrouvé ma gauche.
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