samedi 28 juillet 2007

Le fantasme: sous la pluie?


Daniel Boucher pourrait-il vivre son fantasme ce soir?


Extrait d'un texte publié il y a quelque semaines dans le ici. À ce moment, nous croyions que Dan devait livrer le show de clôture...



La dernière fois que nous l’avons rencontré, il affichait un profil taciturne, songeur. Même si on se connait plutôt bien, l’homme regardait ailleurs ou dessinait sur la table en répondant aux questions. Comme s’il était en proie au doute ou en plein processus de remise en questions. Ses deux cd/dvd s’apprêtaient à sortir. La campagne électorale du PQ battait de l’aile… Et, Daniel Boucher, même s’il le camouflait tant bien que mal, semblait plutôt à côté de ses pompes.
La semaine dernière, c’est un tout autre artiste que nous avons eu le bonheur de retrouver.
Dès notre arrivée au rendez-vous, on aperçoit un gamin de trois ans qui gambade partout autour. Derrière, son papa qui se prête de bonne grâce à la séance de photos. Il lui aura suffit de m’adresser son sourire grand comme le bar du Ritz pour rapidement me rassurer quant à la nature de l’atmosphère de la rencontre qui s’amorçait. Nous avons alors entamé la discussion dans cette salle vide de l’hôtel Godin sise dans ce même immeuble où jadis Dédé Fortin faisait les 400 coups. Et, en effet, le Dan était en forme.


C’est que le vent souffle en poupe pour le bummer funambule par les temps qui courent et
c’est peut-être aussi pour cela qu’il a choisi de ne pas être de l’aventure Dracula en France:
« Le gros stage man, en solo, c’est quelque chose… », lance –t-il d’emblée après que nous nous
fûmes installé au bar de l’hôtel. Puis, je lui ai fait remarquer que ces spectacles de fermetures,
tel celui des Francos, sont, depuis peu, officiés par des artistes de sa génération. « J’ai
35 ans, on arrive, nous autres-là, à l’âge où on va bientôt se mettre à contrôler le monde. Il
Faudra cependant qu’on se réveille, qu’on finisse par la prendre notre place», raconte Boucher qui bien qu’il soit ravi de voir sont statut changer craint néanmoins d’y laisser une part d’audace. Et puis, n’y aura-t-il pas toujours des plus jeunes des plus fous pour faire danser les bougalous ?


«Je ne suis plus un jeune chanteur qui monte mais, en même temps, il y a le risque de s’asseoir là-dessus. Chose que je veux absolument éviter. Car ce qui se produit dans ce temps là, c’est que tu te mets à dater. Tu commences à sonner standard et tu arrêtes d’innover. Tu te complais un p’tit peu toi-même dans ta propre case…», analyse Boucher.

Éviter l’embourgeoisement

« Oui, c’est ça, il faut éviter l’embourgeoisement. Je pense que ça ne donne rien d’essayer de devenir quelqu’un d’autre à chaque disque», lance Boucher tandis que le petit Émile, flambant nu, vient tenter de grimper sur le fauteuil qu’occupe son ancêtre. « Habille toi Émile, ici on ne peut pas se mettre tout nu. Je sais que t’es bien là mais on n’est pas à la maison… Ah pis reste donc de même. Tu va pouvoir dire que tu t’es promené tout nu à l’hôtel Godin». «Et tu pourras ajouter que tu étais à jeun », rétorque votre serviteur. On rigole. « Si sont pas content, ils viendront nous le dire mais je pense qu’il y a pire que ça dans la vie ». Et voilà notre Dan qui repart sur la notion d’embourgeoisement à éviter, de la difficulté d’évoluer tout en restant soi-même.


Puis, il évoque Elvis, un de ses mentors, qui, selon lui, serait parmi ceux qui ont le mieux réussi à demeurer eux-mêmes, lorsqu’il a recommencé à présenter des spectacles en 69-70 avant qu’il ne soit happé par des problèmes de santé. On causera de Dylan aussi, Jagger,

Lennon, Iggy Pop… « Parmi les chanteurs de ma génération, il n’y en pas gros qui n’aurait pas aimé, en tant que showman, être un de ceux-là ». Parlant de showman, ça prend une méchante paire de couilles pour oser affronter tout seul un public composé de plusieurs dizaines de milliers de personnes comme il le fera bientôt, non ? «Écoute, c’est peut-être parce que je n’approche pas ça comme un affrontement genre vous allez rester icitte, m’a vous tenir… Il s’agit plutôt d’un échange. Mais si je sais que je suis capable de tenir une salle avec ma guitare, ben là, la seule différence c’est que le système de son est plus gros ». « Donc jouer dans ton salon ou devant 150 000 personnes, c’est la même chose ? ». « Non, tu as raison, j’ai exagéré un p’tit peu mais je ne vois pas pourquoi ça ne serait pas possible car, au fond, l’important c’est qu’on entende la guitare et la voix du gars et qu’on sente son énergie », analyse-t-il candidement comme pour atténuer la pression qu’implique une telle responsabilité.

Le fantasme

Car il le sait bien qu’il s’agira là peut-être du plus grand challenge de sa carrière. Toujours sûr de ses capacités, chose trop souvent perçus comme de l’arrogance dans nos contrées, Daniel Boucher rêve même depuis toujours d’une telle proposition. «C’est un fantasme qui me poursuit depuis des années et des années », confie-t-il. «Ça a commencé bien avant que je ne sorte mon premier disque. Le fait d’avoir une présence tout seul avec ta guitare, ça veut dire que ta toune se tient », lance avec justesse celui qui a néanmoins déjà tâté ce genre d’atmosphère en offrant des prestations de son spectacle solo Chansonnier dans des festivals. « On s’est rendu compte qu’il se dégageait une énergie très brute ». Puis je reviens avec notre précédente rencontre en lui confiant qu’elle m’avait laissé un sentiment plutôt étrange en raison de ce sentiment d’amertume qu’il dégageait, du moins à mes yeux. «Ben oui, c’est normal man. Écoute, la situation est simple, je n’ai écrit qu’une seule toune depuis que mon gars est venu au monde. À un moment donné, le doute s’installe. Mais je pense qu’il ne faut pas forcer les choses et c’est peut-être ça que j’essayais de faire. Ma vie a changé et j’ai besoin d’adaptations. Genre : tant que je n’aurai pas fini de construire mon ostie de maison, je ne pourrais pas me concentrer sur l’écriture comme je le faisais dans le temps où j’étais sur le bs et je n’avais rien d’autre que ça à faire. Et que c’était ma seule chose à faire pour m’en sortir. Il y a quelque jours j’ai soupé avec un de mes chums et il m’a dit de prendre le temps de vivre ce que vis là histoire de faire de la place dans ma tête. On est comme on est. Moé, chu faites pour avoir des idées dans la vie. Chu pas faites pour transporter des frigidaires…J’ai compris, il y a seulement une couple de jours donc, que, tel un boxeur, il fallait rouler avec le coup que l’on reçoit sur la gueule. Si tu essaies de te battre contre lui, ça va faire encore plus mal. Pis là, la vie me fait rouler d’une façon et à un moment donné, la vague avec de la mousse, ça va revenir».


On quitte l’hôtel en taxi. Dan, après que j’eus abordé la question du mysticisme en raison de ce gaminet à l’effigie du Christ qu’il porte, m’assure qu’il l’a acheté simplement par dérision, parce qu’il le trouvait beau. Puis me confie qu’il a récemment rêvé à son défunt papa : « On s’en allait en Gaspésie en train. Je fini toujours par lui demander : comment ça se fait que t’es là même si cela fait 19 ans que tu es mort ? Faut que tu m’expliques là… ».


Comme l’impression que Dan ne sera pas tout à fait seul sur scène ce soir.

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